Franco Vegliani

La frontière

Roman. Traduit par Hélène Leroy

Collection : Terra d’altri

240 pages

19,07 €

978-2-86432-111-8

octobre 1990

Durant l’été 1941, le narrateur, jeune officier de l’armée italienne, rencontre, dans l’île dalmate où il se trouve en convalescence, un vieillard, Simeone, qui au fil d’une amitié naissante lui conte l’histoire d’Emidio Orlich : cet autre jeune officier, mais de l’armée austro-hongroise, mourut au front, lors de la Première Guerre mondiale, dans des circonstances où se mêlèrent confusément courage, sacrifice et trahison. Un tel destin (et seul le vieil homme semble en connaître le secret) exerce une lente mais irrémédiable fascination sur le narrateur, dont le malaise à l’égard du fascisme et de ses violences en Yougoslavie répond au dilemme qui fut celui d’Orlich vingt-cinq plus tôt, dans un contexte d’irrédentisme.

Plus que le récit, admirablement maîtrisé, d’une double prise de conscience, ce livre est une méditation, à travers quelques personnages innocents et complexes, sur l’enfer du choix, qui n’a d’autre fonction que de séparer, de tracer une frontière.

Pour moi aussi la photographie de ce groupe d’officiers représenta un point de départ. Elle constitua même fort longtemps, dans l’immensité et la complexité de ce que j’imaginais, entrevoyais, soupçonnais, un élément de certitude réconfortante car elle m’offrait justement une possibilité permanente de m’y référer. Je veux dire que, lorsque j’eus à mon tour pris connaissance de tous les papiers d’Emidio rassemblés et conservés dans la petite cassette et que je les eus présents à l’esprit au point de pouvoir affirmer les connaître par cœur, les visages des hommes représentés sur le carton jauni devinrent, pour moi aussi, des visages familiers car, après cette première soirée et après que Simeone eut achevé de me raconter succinctement tout ce qu’il savait, je revins plus d’une fois chez lui pour réexaminer, discuter et plus encore interpréter ces documents. Comme Simeone, je donnai à chacun d’eux le nom et le prénom qui me semblaient devoir lui appartenir, sûr comme lui de ne pas me tromper.

Au milieu de ce groupe, Emidio Orlich apparaissait différent du jeune homme que j’avais découvert sur la photo pour laquelle il avait posé en uniforme de cadet. Il ne pouvait pas s’être écoulé beaucoup de temps entre les deux clichés mais Emidio se trouvait à un âge où les changements et le mûrissement surtout se manifestent brusquement, de façon presque foudroyante, et marquent aussitôt la physionomie. En officier et revêtu de son uniforme de campagne, le jeune homme semblait avoir complètement perdu son aspect craintif d’adolescent embarrassé et indécis. D’abord il ne souriait plus et son visage, son attitude étaient maintenant empreints d’un air martial tout neuf et un peu faraud dont, à y regarder de près, on pouvait même penser qu’il était voulu, voire qu’il se l’imposait en guise de parade, mais qui n’en demeurait pas moins un air martial. On avait l’impression qu’en se faisant photographier il s’était soucié de ressembler le plus possible à ses camarades.