La Provence, 19 août 2012, par Jean-Rémi Barland

Le miroir brisé des années 1950

C’est un roman à la fois drôle et grave. Puisant dans ses propres souvenirs les rouages de sa fiction, François Garcia poursuit avec Federico ! Federico !, une sorte d’autobiographie littéraire commencée avec Jour de marché dont l’action se déroulait déjà dans la ville de Bordeaux.
La voix qui nous parvient est celle du petit Federico Lorca, l’enfant-narrateur du récit âgé de 7-8 ans, qui est également (c’est une des originalités du livre), le narrateur de son enfance. Et il n’a pas la langue dans sa poche. Federico est même intarissable pour raconter tout des activités de l’alimentation générale tenue par ses parents, décrivant par le menu les déplacements des clients, le mariage d’Alfred (de son vrai prénom Alfredo), et Marinette, les deux commis de son père, et même l’aspiration de cette communauté à l’acquisition d’un poste de télévision.
Car nous sommes en octobre 1956. La vie se déroule tant bien que mal entre prospérité économique due aux trente glorieuses, et guerre d’Algérie qui provoquera un séisme humain et politique. Si les passages sur le petit monde gravitant autour de l’épicerie Lorca apparaissent souvent comme burlesques, François Garcia ajoute à cette histoire, deux récits tragiques. Le premier centré autour de Karim, qui quitte Alger chassé par la violence de son frère, pour rencontrer celle du FLN dont il deviendra très proche. Le second récit met en scène Maxime, un étudiant issu du milieu ouvrier qui verra son sursis universitaire suspendu et devra faire la guerre en Algérie.
Dans un va-et-vient narratif subtil et mené avec un équilibre savamment dosé, François Garcia évoque les communautés maghrébines et européennes dans leur complexité, leurs différences, et surtout leur complémentarité même si, époque oblige, le dialogue semble ici impossible. Refusant pathos, idées et propos sommaires, l’auteur privilégie néanmoins l’émotion, tournant le dos à l’idéologie. On est bien sûr plus proche de Camus que de Sartre dans ce roman mettant en lumière une sorte de portrait brisé des années 1950. Le style classique employé dans des longues phrases chargées de compassion à l’égard des simples gens, n’exclut pas une inventivité formelle, et impose Federico ! Federico ! comme un très beau roman poétique que Lorca lui-même (l’allusion à l’écrivain espagnol est ici plus qu’un clin d’œil), n’aurait pas désavoué.