Marianne, 6 avril 2013, par Philippe Petit

Droit devant !

Les dates sont précises. Le roman commence aux alentours du printemps 1960. Le général de Gaulle a déjà pris sa décision. Après son discours du 16 septembre 1959 sur l’autodétermination du peuple algérien, l’indépendance de l’Algérie devient possible. Comme est possible la liberté d’esprit et de corps chez ce groupe de jeunes étudiantes que Natacha Michel fait revivre dans Plein présent, sous une lumière qui n’a rien à envier à celle du chef opérateur emblématique de la nouvelle vague Raoul Coutard.
Dès le début de ce portrait de groupe, la prose établit le monde des jeunes filles avec un éclairage ne laissant rien échapper de leur appétit d’exister. « Nous irons droit devant », lance l’une d’elle. Elles sont vivantes, en effet, ces amies qui se disent tout, comme pouvait l’être Mme Helvétius orchestrant dans son salon où se pressaient Diderot et Mirabeau ses « états généraux de l’esprit humain ». Elles ont 20 ans et orchestrent, à leur manière de filles ayant troqué les combinaisons de leurs mères pour un simple pull-over enfilé à même leur soutien-gorge, les feux d’une époque où se découvrent, l’amitié aidant, l’amour et la politique.
Heureux temps, qu’une langue en mouvement saisit au détour d’une conversation, comme un papillon dans un filet. L’auteur en respire l’atmosphère, sans jamais sombrer dans la nostalgie. Fidèle aux promesses de l’aube, elle restitue – au gré d’une intrigue qui s’achève par la trahison de Xavier, amant d’une nuit de l’une des jeunes filles, sartrien hésitant sur les chemins de la liberté – l’intensité de leur échange, qui transcende, jeunesse oblige, leur milieu social, et leurs affiliations intellectuelles. Cela donne à ce roman une couleur qui ne ressemble à nulle autre. Entre le restaurant La Boule d’or à Belleville et la bibliothèque Sainte-Geneviève, entre Paris et Madrid, sous les coups des matraques des policiers et les coups bas de l’OAS, une jeune fille fait part à quatre autres de son échec amoureux et du mépris de son amant à son égard. Ni vraiment roman d’époque, ni vraiment éducation sentimentale, ni roman familial, Plein présent se lit plutôt comme un roman primitif, où le passé fait figure de présent éternel.
Véronique fait exploser sa sensualité loquace, Marianne peine à retenir sa pudeur, Josèphe satisfait ses penchants homosexuels, mais aucune d’elle ne marque sa différence au point d’annuler celle de l’autre ou de se fixer à leur choix. Les commencements de ces filles qui se fabriquent par mutuelle imitation ne sont pas des options définitives, pas plus que le passé, un passé défini. Plein présent n’est pas un roman générationnel. Ici, « chacun est chacun », comme dit la narratrice. La plénitude se suffit à elle-même et se survit par la même occasion. Elles ont décidé une fois pour toutes d’espérer et de vivre, de croiser leurs expériences, laissant penser au lecteur que leur élan survivra à leur jeunesse. Plein présent est un livre gai, où les filles ont une longueur d’avance sur les garçons, et où les amitiés féminines se déroulent dans un combat à la loyale : dans une perpétuelle allégresse.