La République des livres, 16 août 2007, par Pierre Assouline,

Bonnes nouvelles !

Ce n’est pas parce qu’un genre est réputé invendable qu’il doit être réputé illisible. L’A.O.C. « Nouvelles » ne figure d’ailleurs pas en couverture de Ultimes vérités sur la mort du nageur de Jean-Yves Masson, mais uniquement en quatrième de couverture alors que sur la page de titre, il est indiqué « récits ». C’est qu’en France, le genre bref n’a vraiment pas bonne presse, contrairement aux États-Unis et en Angleterre pour ne citer qu’eux. Aussi, lorsqu’on reçoit de bonnes nouvelles, on se hâte de les partager. C’est le cas de ce recueil d’un auteur connu également pour ses traductions de Yeats, Rilke et Hofmannsthal, et pour la collection de littératures germaniques qu’il anime chez Verdier à l’enseigne de « Der Doppelgänger ».

Ces huit textes de Jean-Yves Masson ont en commun des héros prêts à réaliser le rêve qui les hante et d’affronter leur secret à travers un lieu. Ce peut être une maison, un jardin… Toutes ces histoires se déroulent à une époque non précisée dans le flou géographique de lieux inommés où évoluent des personnages connus par la première lettre de leur nom. Il serait vain de rendre compte de la sensibilité d’un tel recueil, de la fluidité de son écriture et de la poésie qui s’en dégage, en détaillant chaque histoire. Il est préférable d’en isoler une pour refléter l’esprit de l’ensemble. Le plus souvent, la nouvelle qui donne son titre au recueil s’impose d’elle-même, que l’auteur ait choisi de la placer en tête ou en queue. C’est le cas, d’autant que ce titre splendide et mystérieux (Ultimes vérités sur la mort du nageur) suffit à intriguer le lecteur. B. est un être solaire, un être d’exception qui a ébloui tous ceux qui l’ont connu. Célèbre pour ses prouesses de nageur, loué pour les compétitions qu’il avait remportées, il appréhendait désormais cette gloire avec un certain détachement. À sa mort, ses amis de l’île qui l’a vu naître, et notamment le narrateur, savaient qu’il manquait l’essentiel à ses notices nécrologiques. Son ami d’enfance commença par évacuer les contre-vérités : non, ce grand nageur n’aimait pas « le sport » car il détestait le mot, délesté selon lui de la dimension du jeu qui en est l’âme et l’essence ; le « sport », emprunté par les Anglais à l’ancien français, « avait consacré l’asservissement d’une pratique millénaire au règne hideux de la Quantité ». Plus le fascinant B. s’éloignait d’une discipline coupable de s’éloigner des Dieux, plus il se rapprochait des livres qui le rapprochaient de l’imaginaire des explorateurs. On conçoit que ses entraîneurs n’aient pas supporté.

Son ami d’enfance ne voyait qu’ivresse de l’inconnu dans ce qu’ils nommait « folie ». Jusqu’au jour où le nageur magnifique se fixa comme nouveau but d’une vie de poser le pied sur un rocher inaccessible tout près de l’île. L’un de ces lieux où ni les hommes ni les bateaux ne purent jamais marcher ni accoster en raison de la violence des vagues. Un acte pur lavé de toute ambition, une initiative des plus risquées même pour un champion, seul capable de détourner la force de la mer à son profit. Le jour du solstice d’été, après s’être religieusement préparé, il plongea sous les yeux de ses amis émerveillés, se hissa un instant sur l’inaccessible rocher et fit deux pas avant d’être balayé par une vague qui le fracassa contres les pointes d’un autre rocher.