Le Monde, 5 juillet 2009, par Amaury da Cunha

L’enfance n’est pas toujours une histoire enchantée. Il y a pourtant une littérature prétendument universelle qui a trouvé en elle une légende lumineuse : un âge imprégné d’amour et encore préservé du péril de l’existence. Le livre de Guy Walter Un jour en moins n’entre pas dans cette mythologie.

L’écrivain et directeur de la Villa Gillet à Lyon a en effet choisi de retrouver l’enfant qu’il fut, mais son entreprise n’est soutenue par aucune nostalgie. Elle se heurte dès le commencement du texte à un constat d’absence et de vide. « Je ne cesse de m’approcher, malgré moi, d’une enfance gelée. » Cette recherche, malgré les obstacles assumés, ne décourage pas l’écrivain. Il lui faut retrouver la voix de l’enfant pour espérer qu’un récit soit possible, car sa survie dépend de cet accomplissement.

Mais l’épreuve est de taille : l’abstraction de l’image – l’enfant est flou, immatériel – menace à tout moment son écriture de s’éteindre et de perdre ce qu’elle cherche : l’origine. Tel semble être l’objectif difficile de ce livre : s’aventurer « sous la coupole du cerveau », comme le prescrivait Baudelaire, pour trouver l’anomalie première de la vie.

En remontant le cours du temps, un événement se signale avec une insistance obsédante : un drame dans la vie de l’enfant a traumatisé la mémoire de l’adulte. Il faut élucider le secret de ce choc pour espérer renouer avec ce passé. L’histoire commence donc ce jour où l’enfant, à 4 ou 5 ans, s’est aventuré au bord de la mort. Dans une grange à foin, au milieu de la campagne autrichienne, il grimpe sur une échelle, et, au-dessus d’une « fourche raide », s’apprête à sauter. Mais il hésite, regarde le vide comme une promesse d’apaisement et finit par chuter, échappant de peu à la mort. Une cicatrice marque à jamais son esprit. Désormais, plus rien ne sera comme avant. « Ce fut ce jour-là […] que mon enfance se précipita dans mes jours et qu’elle y mourut sans avoir été vécue, me laissant sur le bord de mes jours[…]. Je n’avais plus qu’à me laisser tomber. »

Une fois raconté cet événement tragique, le récit fait entrer des images dans la nuit. Mais ce sont des images silencieuses et minimales. Il est difficile pour le narrateur d’accéder à leur profondeur. Aidé par l’enfant, qui circule plus facilement dans le passé, il entrevoit des figures aimées qui se dessinent, mais elles ne sont que des ébauches. C’est la voix du père qui vient traverser le rêve de l’enfant ou des bruits de famille qui percent l’opacité du monde. Malgré ces signaux lumineux, une solitude implacable persiste, comme si le travail d’écriture ne pouvait échapper au désastre.

La dernière image du récit de Walter est saisissante. Elle déplace l’enjeu de la souffrance sur un autre plan, celui de l’histoire. L’enfant se souvient d’une photographie qui représente des déportés, épuisés, anéantis. La frayeur est totale, comme si sa vie ne pouvait plus jamais tenir face à une telle tragédie. Et toute l’intimité du texte est d’un coup traversée par la noirceur d’un passé dont il n’avait pas conscience.