Madame Figaro, mai 2004, par Clémence Boulouque

La Robe bleue

Elle attend un visiteur, dans un parc. L’homme s’appelle Paul. Elle a pour nom Camille. Camille Claudel, pendant trente années, a été internée à Montdevergues, près d’Avignon. Depuis ce jour où sont venus la chercher des hommes vêtus de blouses blanches, la conduisant à Ville-Évrard, avant de la transférer, en 1914, loin de Paris en guerre. Brise et vagues de souvenir viennent caresser la femme et l’artiste, vieillissante et comme anesthésiée, apaisée après avoir été jusqu’aux extrémités de soi. Son frère, comme ultime lien avec le monde extérieur, parfois, l’emmène pour des promenades au bord de la Durance, l’arrachant à sa torpeur : « Il restait à contempler le visage amaigri et fatigué, les lourdes paupières bistrées refermées sur des yeux dont, comme d’autres, il avait célébré la beauté, elle, Camille, dans sa vieille robe, son vieux manteau et ses chaussons de feutre vert qu’elle ne quittait plus. » Dans la somnolence de l’attente se fondent présent et passé, l’enfance, la rencontre de Debussy chez Mallarmé, l’amour et la séparation, et la passion pour Rodin, le maître qui devient amant et obsession, l’esprit qui, doucement et violemment, chavire. L’histoire est connue, elle n’en est pas moins, ici, délicatement murmurée. Comme dans La Demande (prix Jean-Giono et France-Télévision 1999), Michèle Desbordes modèle l’intime, la conscience, les vacillements et leur grâce.