Les Lettres françaises, septembre 2016, par Jean-Claude Hauc

Un amour véritable

Atteint du syndrome d’Asperger, le narrateur du dernier roman d’Emmanuel Venet refus de se plier aux diverses concessions qu’exige la vie en société. Farouche tenant de la vérité, il déteste toute forme de compromission. La religion, la politique, les conventions sociales et bien sûr la famille sont pour lui autant de menteries contre lesquelles il n’a de cesse de se rebeller. Cette attitude singulière incitant son entourage à le traiter volontiers de « mongolien », d’ « arriéré », voire de « schizophrène », alors que le syndrome n’a aucun rapport avec ce genre de maladie chromosomique ou mentale et constitue un « variant humain non pathologique voire avantageux, puisqu’il garantit, au prix d’une anosognosie, parfois invalidante, une rectitude morale plutôt bienvenue dans notre époque de voyous ».

Une grande partie du roman s’organise autour des funérailles de Marguerite, la grand-mère maternelle du narrateur, qu’une oraison funèbre évoque comme « chaleureuse, rieuse et généreuse », alors qu’elle était avide d’argent et trompait allégrement un époux que le chagrin et l’humiliation ont poussé à l’alcoolisme et à la mort. Sont également évoqués divers autres membres de la famille dont le comportement témoigne d’une même duplicité. La tante Solange qui fréquente des groupes œcuméniques dont les membres « suivent Christ sur leur chemin de vie », mais couchent tous plus ou moins ensemble malgré leur vœu de chasteté. La cousine Christelle qui se prétend militante d’extrême gauche, mais engage au noir pour des travaux de plomberie des chômeurs ou des sans-papiers qui ne discutent pas leur prix ou leurs horaires.

Mais le syndrome d’Asperger se caractérisant par une « stéréotypie idéaux-comportementale », le narrateur entretient plusieurs passions compulsives. Le scrabble où il est passé maître, qui « ravale à l’arrière-plan la question du sens des mots et permet de faire autant de points avec asphyxie qu’avec oxygène ». Et les catastrophes aériennes, qui stimulent son esprit scientifique.

Poutant, le fil rouge qui court tout au long du roman est l’ « amour absolu » que le narrateur entretien avec Sophie Sylvestre. Rencontrée au collège, il sait d’emblée qu’elle sera l’amour de sa vie. Amour fidèle, bien que non déclaré. Après le bac, elle s’inscrit au cours Florent et obtient quelques petits rôles au cinéma. S’étant mariée, elle met fin à sa carrière afin d’élever un fils atteint de mucoviscidose. Comme il n’a jamais cessé de l’aimer, le divorce de Sophie ouvre au narrateur de nouvelles perspectives. Il l’inonde de mails, puis finit par lui proposer de faire euthanasier son fils afin qu’elle puisse enfin être heureuse. Cette maladresse amoureuse occasionne un procès, une amende, des dommages et intérêts, et l’interdiction d’entrer désormais en relation avec Sophie. Mais il ne désespère pas de parvenir à la « reconquérir » un jour.