Attilio Bertolucci

La Chambre

Roman familial en vers. Traduit et préfacé par Muriel Gallot

Collection : Terra d’altri

256 pages

19,77 €

978-2-86432-072-2

septembre 1998

Reprenant « le journal des faits mémorables arrivés aux Bertolucci depuis leur installation dans l’Apennin au XVIIIe siècle », La Chambre est la tentative insistante et paradoxale de restituer le temps perdu au moyen d’une langue à la fois discursive et lyrique : roman familial en vers, comme l’a défini le poète lui-même, entreprise singulière dans la littérature de notre temps.

Une écriture vertigineuse où, tout autant que la métaphore, travaille la répétition d’éléments simples (violettes, acacias…), nous livre une jeunesse en formation dans l’Émilie de l’entre-deux-guerres, quand dominent le nécessaire arrachement à la mère et l’ambiguïté des sentiments. À la lisière d’un temps infâme que marque le fascisme, s’offre le spectacle d’une vibrante participation : des images nostalgiques et menacées.

Rêverie sur la migration des gens de Maremme

 

De la Maremme, avec des chevaux, jour
et nuit… ils avaient depuis leur départ
les nuages pour compagnons, laissant
derrière eux une plaine,
et derrière la plaine, la mer et l’horizon,
dans la pâleur immobile d’une aube d’été.
Les chevaux étaient rapides comme les nuages
à franchir les défilés, à surgir
au seuil des vallées. Mais chaque fois
que l’humidité des prés, le fracas
lointain d’un torrent, la lumineuse
ondulation d’une rive ou tout autre signe
favorable les fit s’immobiliser au passage d’un col,
leur œil, peu après, découvrait,
d’abord confondue avec le bleu de l’air
et sortant lentement du secret
d’une châtaigneraie, une fumée bientôt perdue
par un regard déjà fatigué,
déjà tourné ailleurs, en quête
d’un sentier plus facile pour les bêtes
regroupées là-bas, après la halte inutile
et une si courte pâture. Les nuages, eux,
ne s’arrêtaient pas, il fallait
aller de l’avant, c’était toujours l’Apennin
profond, même si d’autres bouviers,
plus doux, y avaient déjà
élevé agneaux et enfants : éternellement
ne pouvait les décevoir
cette ondulation infinie de vallées
azurées dans le silence de midi,
tandis que le vent s’apaisait, au déclin
du jour sur la ligne de faîte, dans une chaleur
où il convenait de se blottir, en sortant
pain et fromage pour le dîner. Puis
vint une heure très pure, l’heure
du berger,
qui polit chaque cime et l’irise
d’une lumière solitaire ; mais dans les vallées
ne retentit cette fois nul écho
de ce timbre chrétien qui aide à affronter
la nuit. Si souvent les avait
rassurés et éloignés le bronze
rauque destiné à d’autres âmes
que, le silence montant avec l’obscurité,
un frisson les saisit. Ou bien était-ce la rosée
mauvaise pour les os, qui, parmi les hêtres,
leur fit chercher un toit
de branches basses, un lit de feuilles,
pour un sommeil longtemps attendu et tôt
dissipé, dans un espoir inquiet ?

La Quinzaine littéraire, 16 octobre 1988, par René de Ceccatty

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Nuit blanche, décembre 1989-février 1990, par Marie-Christine Pioffet

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