La Quinzaine littéraire, 1er février 1990, par Marie Étienne
Les histoires que raconte Ferlosio, « folies qui trottaient dans ma tête, et qui avaient en Castille une si bonne assise » commencent par celle du coq de girouette découpé dans une plaque de métal, il a un œil unique et il descend une nuit du toit pour chasser les lézards. De leur combustion conjuguée, l’enfant de la maison fabrique des couleurs, et du noir « un étrange alphabet ». Le coq sorti des cendres devient un maître passager (le vrai vient tout de suite après), et lui apprend comment, en essorant le ciel quand le soleil se couche, on obtient le sang qui donne vie à la vie. Quoi de plus proche de l’alchimie, de la magie que la taxidermie ? Pour le Maître de qui l’enfant devient l’élève, elle est mieux qu’un métier : une science, une philosophie, une manière de donner des couleurs au monde. En les lui enlevant. En prenant la vie à des animaux. Curieux moment du livre (toute la première partie), où l’activité du Maître et de l’enfant ne s’exerce que dans la cruauté : l’enfant dort au milieu des oiseaux empaillés, la servante, « dévouée et silencieuse », a été disséquée avant d’être naturalisée, la cave contient des animaux dépareillés, « sorte d’excédent du travail », le chat du quartier qui s’y égare devient cordes pour horloge, cage à souris, racloir et petit tambour. Alfanhuí est un errant, un vagabond, surtout après la mort du Maître. Il s’en va alors à la ville. D’acteur de sa vie, il devient observateur […] C’est sur la quête du nom que se clôt le livre. S’il ne dit pas tout son secret, c’est pour en garder la force. Ne la lui enlevons pas.