L’Humanité, 27 février 2003
Éloge des vaincus
Lignes du Quichotte est un essai sur le concept de héros dans la littérature. En perpétuelle recherche de déconstruction.
Saer expose la théorie de l’antihéros comme éternel vainqueur. Renversant l’idée du héros vaillant qui réussit tout ce qu’il entreprend, Saer prend appui sur Don Quichotte, œuvre magistrale de Cervantès, pour procéder à sa démonstration. Au cœur de ce personnage aux illusions sans limites, Saer voit « le démantèlement systématique de l’épopée ». La force de Don Quichotte est sauve grâce à ses idéaux, contrairement aux héros qui passant toutes les épreuves avec brio sont vides de rêves. Là où le héros traditionnel croit triompher, c’est le Quichotte qui l’emporte. « Quels que soient les avatars, les circonstances de ses aventures, le sens de chacune est toujours le même : la confrontation de son idéal avec une réalité en conflit avec cet idéal. » Fondateur d’un genre épico-comique, Cervantès aurait, selon Saer, influencé les romans du dix-huitième siècle et même du dix-neuvième siècle. Mettant ainsi en valeur non pas l’événement mais le non-événement. Par-delà les romans qui exemplifient sa thèse, Saer s’attache donc à démontrer comment la lucidité du Quichotte face à ses échecs finit par les surpasser. Encore une fois la fiction devance la réalité.