Le Monde, 17 avril 1992, par Pierre Lepape
Géographie autobiographique
Julio Llamazares est l’écrivain âpre, sombre et lyrique d’une Espagne rurale qui est loin d’en avoir fini avec ses peurs, avec ses misères avec la croyance en une histoire immobile marquée de toute éternité par l’affrontement perdu des hommes avec la nature et avec leur propre cruauté. Ses deux romans déjà traduits, Lune des loups et La Pluie jaune, ont été remarqués pour leur beauté crépusculaire et l’émotion intense, presque douloureuse, qui les habitait.
Récit d’un voyage à pied d’une vingtaine de kilomètres entre Barrio et les sources du Curueño, dans ce pays de León cher à l’auteur, La Rivière de l’oubli ne joue pas, d’emblée, sur les mêmes tons dramatiques. Llamazares, qui connaît chaque pierre de ce paysage de montagnes et de dépressions, chaque masure des minuscules bourgades qui s’y accrochent, chaque histoire de ses habitants, sauvages, solitaires, hautement colorés, raconte les lieux et les hommes avec l’allégresse d’un gamin qui veut faire partager les richesses de ses trouvailles. Ce n’est pas un guide mais plutôt une géographie autobiographique. Ces histoires, ces lieux, ces coutumes, ces arbres sont tout à la fois un ensemble réel et un ensemble magique, celui de l’enfance de l’écrivain, celui qui imprime à sa vision des choses un tragique et un sublime dont elle ne se défera jamais.