La Liberté, 14 avril 2012, par Alain Favarger

La terreur de la liberté

La lauréate du Nobel de littérature de 2004 se définit volontiers comme « une incurable moraliste ». Tous ses textes (romans, pièces de théâtre, essais) témoignent d’un regard sans concession sur les dérives de la société moderne, en particulier sur les rapports de force, de domination et de violence qui la sous-tendent. Elfriede Jelinek exprime sa révolte dans une langue aussi âpre que cinglante, à la manière d’une écorchée vive hantée par la monstruosité du monde contemporain. On vient de traduire d’elle en français deux textes virulents créés au théâtre et joués pour la première fois à Vienne en 1994 (Restoroute, définie par l’auteure comme sa « première véritable comédie ») et en 2007 (Animaux, une pièce composée de deux monologues).

Ces deux ouvrages portent une charge d’une rare violence contre la libération sexuelle, assimilée à une « terreur de la liberté ». Dans le premier cas, il s’agit sur un mode burlesque et grinçant de se moquer de la vogue de l’échangisme. Dans l’autre, on voit une femme mélancolique exprimer sa soumission à son amant, jusqu’à la prostitution, dans une vision noire où l’homme, éternel seigneur et maître, ne considère finalement les femmes que comme du bétail. Il est difficile de faire plus fort dans la satire et le grotesque. Le spectateur comme le lecteur se voit saisi à la gorge, sommé, presque au bord de l’asphyxie, de s’interroger sur la tyrannie de la performance sexuelle, muée ici en une servitude d’autant plus terrifiante que les femmes n’y sont pas dans la posture de victimes, mais de complices actives.