Livres hebdo, 8 juin 2007, par Sean James Rose
L’arche du désespoir
Thomas Jonigk avait fait scandale avec un premier roman, Jupiter, sur l’inceste. Il signe cette fois un polar métaphysique où le cadavre du père bouge encore.
Un vieil homme rabougri, ressemblant à un drôle de volatile déplumé, gît dans la pièce. C’est le père de Jan. Il est mort. Jan a appelé le médecin. Il aurait peut‑être dû avertir la police. Jan se demande s’il ne l’a pas tué. En attendant les secours, ce sont les fantasmes et les cauchemars qui se bousculent dans la chambre‑cervelle de Jan Jonas. Le journaliste de trente‑cinq ans n’a sans doute pas tué le père, ce héros déchu, tétanisé par la rigor mortis (« ce n’est pas un être humain, c’est une absence ») ; mais a seulement voulu en découdre avec cette lourde filiation du confort petit‑bourgeois qui rime, selon lui, avec mort. Le réel est cet espace saturé de matière, sans idéal, ce temps saumâtre où stagnent choses et gens : « Jan ouvre la fenêtre, peut‑être que ce ne sont pas les carreaux qui sont sales, et pas le ciel, qui sait, le ciel est peut‑être un pâturage bleu couvert de nuages blancs, comme des agneaux innocents, mais non, invraisemblable, ridicule, se dit‑il, tout demeure tel quel. »
Jan plonge à corps perdu clans un sensualisme sans joie, va voir les putes, couche avec les collègues, viole les femmes de ménage… Dans son délire, elles ne font qu’une, sauf ce laideron à la face de grenouille, courte sur pattes et vêtue d’une robe bleue, dont il s’éprendra. Ce n’est pas la beauté glorieuse mais l’humble laideur qui sauvera le monde. Et l’enquête policière (qui a tué le père ?) de devenir une obsédante quête de vérité. Jan est épaulé dans sa mission par le commissaire Wahlburg et son épouse Ilonka – une caricature du banal bonheur conjugal. Et pourtant, Jan les aime bien, les admirerait presque… Au fil des pages, le mystère s’épaissit. Aussi ne s’agit‑il plus de résoudre le problème du mort (des morts, un autre macab a surgi qui ressemble étrangement au héros) mais celui de la vie.