Page des libraires, septembre 2007, par Renaud Junillon, Librairie Lucioles (Vienne)
Quarante jours est de ces livres où le lecteur doit accepter de se perdre parmi de multiples pistes, tenter de suivre pas à pas des empreintes symboliques, des traces métaphoriques. Il lui faut accepter de se laisser emporter par ce fleuve en crue qu’est l’écriture de Thomas Jonigk, d’une force et d’une violence incroyables.
Si Thomas Jonigk écrit comme on crache son venin ou sa colère, son personnage, Jan Jonas, semble lui s’exprimer dans un hurlement continu. Ce Jonas évolue dans un monde gris, où la guerre est à tous les coins de rue, dans une réalité incertaine et absurde. Le seul élément constant est la pluie ; il pleut sans discontinuer : un déluge qui durera « 40 jours ». C’est au cœur de cette humanité crépusculaire que Jan Jonas, confronté à plusieurs situations étranges, prend conscience des fausses valeurs que nos sociétés véhiculent : individualisme, superficialité, culte du corps.
Jonas est‑il celui qui refuse d’écouter la voix de Dieu et préfère se cacher avant de porter l’avertissement ? Est‑il celui qui fabriquera une nouvelle arche ? Cet aspect initiatique se développe lorsque Jan Jonas découvre un cadavre chez lui et qu’entre en scène un commissaire de police rappelant un célèbre flic de la télé allemande des années 1970. Débute ainsi une sorte d’enquête métaphysico-policière : ce cadavre, auquel le visage est arraché, ressemble à s’y méprendre à Jan Jonas lui‑même, comme un double, une chrysalide. La thématique du visage absent ou masquant l’identité profonde de l’être rappelle un autre visage troublant, celui d’une fille d’une laideur repoussante surnommée Face‑de‑grenouille, qui attire Jan Jonas malgré tout.
Chez Thomas Jonigk, ce que l’on croyait acquis se dérobe, ce que l’on croyait ignorer se trouve en vérité enfoui. Et si tout se brouille, au lecteur de prêter attention aux cris.