Livres hebdo, 30 janvier 2009, par Jean-Maurice de Montremy
Raconteur respectable
Álvaro Uribe sera l’atout mexicain de Verdier au Salon du livre de Paris. Cet ancien diplomate éprouve pour l’histoire contemporaine une fascination d’archéologue.
Il n’existe aucun rapport entre l’écrivain Álvaro Uribe (né en 1953) et le président colombien, récemment mis en vedette par la libération d’Ingrid Betancourt. Simple homonymie. En revanche, il existe sans doute un rapport entre le romancier Álvaro Uribe et le gendarme Genovevo Uribe, dont le témoignage clôt Dossier de l’attentat, un roman bref à longues résonances.
Affecté au 2e district de police de la ville de Mexico depuis 1895, ce Uribe-là musarde le plus souvent en civil dans les milieux du banditisme. Son chef, pourtant, le 16 septembre 1897, le soustrait brusquement à la surveillance d’une bijouterie menacée par un cambriolage. Encore grimé en portefaix, Uribe reçoit l’ordre de se fondre dans la foule sur le passage du cortège présidentiel, en ce jour où l’indéboulonnable général Porfirio Díaz (1830-1915) fête le quatre-vingtième anniversaire de l’indépendance du Mexique.
Il faut se souvenir que Porfirio Díaz, révolutionnaire d’origine métisse, figure de la lutte contre l’empereur Maximilien, s’était converti au développement capitaliste après sa prise de pouvoir en 1876. Le « porfiriat » fut dès lors quasiment ininterrompu jusqu’à la chute de Díaz en 1911, suivie de son exil à Paris.
« Un citadin pur »
À la stupeur générale, ce 16 septembre 1897, un jeune juriste ivre mort se détache de la cohue et frappe maladroitement le général. Il est aussitôt maîtrisé par toutes sortes de galonnés et par le portefaix-gendarme Genovevo Uribe. L’action se déroule si vite que personne ne prend garde à la présence de Genovevo – y compris le lecteur, du moins sur l’instant.
Comme l’indique le titre du roman, Dossier de l’attentat réunit fiches, rapports, lettres et articles de journaux qui se recoupent autour de cette tentative de meurtre. Ainsi qu’il advient pour certains livres de Vargas Llosa (dont Uribe admire « l’art de jouer sur les structures narratives »), le lecteur prend plaisir à voir les indices s’embrouiller au fur et à mesure que se dessine l’histoire d’un complot. Une vilaine manipulation se devine sous les documents : correspondance administrative empesée ; dialogues marlous de chefs policiers ; procès-verbaux falsifiés ; articles de presse bidouillés. Voire des billets doux, aristocratiques et très romanesques…
Tout cela donc, avant qu’intervienne, au dernier moment, le portefaix-gendarme Uribe, deus ex machina. Tel l’auteur, il raconte « ce que personne n’a demandé ». Ce qui, somme toute, est la fonction d’un roman. Voire de la littérature, si l’on en croit l’auteur, à qui l’on doit un essai sur Rulfo, Borges et Cortázar paru chez Lettre volée (Bruxelles, 2003).
« J’ai commencé par écrire des soi-disant sonnets pour une petite amie que j’avais à quinze ans, dit-il. J’espère qu’elle les a détruits. Ensuite je me suis trouvé le don de raconter des histoires : autrement dit, j’ai découvert que j’avais du talent pour le mensonge et le potin, et que cela pouvait faire une occupation respectable. La suite, je la dois aussi à une enseignante qui stimula ma vocation, puis à l’écrivain guatémaltèque, Augusto Monterroso, mon maître dans un atelier d’écriture. »
À l’Unam (Université nationale autonome de Mexico), Álvaro Uribe choisit pourtant la philosophie : « J’aimais trop la littérature pour me la gâcher en l’étudiant formellement. Quant à mes origines familiales, elles ne m’ont pas aidé à grand-chose pour me croire écrivain, si ce n’est que ma mère trouvait ma vocation assez chic et que ma famille maternelle m’a fourni le sujet de mon troisième roman, L’Atelier du temps [2003 ; chez Plon, 2004]. »
En 1977, le jeune homme devient diplomate à un échelon modeste. Mais il a « l’invraisemblable fortune » d’être expédié à l’ambassade parisienne comme « fonctionnaire à tout faire » jusqu’en 1985. Il y reviendra en tant que conseiller culturel de 1989 à 1993. Son séjour français permet au conseiller Uribe d’observer la vie intellectuelle et littéraire. À Paris, se confirme son amour des villes, perceptible dans Dossier de l’attentat.
« Je suis irrésistiblement un citadin pur, ayant vécu à Paris une douzaine d’années et à Mexico le reste de mes cinquante-cinq ans. Tout ce que j’écris ou presque prend l’une de ces grandes villes pour siège. Mais l’action de mes narrations se déroule très souvent dans un passé plus ou moins historique : peut-être ai-je avec mes deux villes de prédilection des rapports d’archéologue, m’intéressant à ce qui n’est plus, ou à ce qui est en train de disparaître davantage qu’à ce que j’ai sous les yeux. »
En 2003, Álvaro Uribe quitte la diplomatie. Il avait commencé ses activités d’éditeur en 1994 à la Conaculta (Conseil national pour la culture et les arts). Il les poursuit désormais à l’Unam. « De mes livres, précise Álvaro Uribe, j’exige non pas qu’ils transmettent mes pensées ou mes sentiments, mais qu’ils s’adressent aux sentiments et à la pensée des lecteurs. Qu’ils le divertissent, lui procurent des émotions durables ; qu’ils l’instruisent, si possible et, dans un cas idéal, excitent sa pensée. » Pari tenu.