Valeurs actuelles, 13 mai 2010, par Philippe Noury
Sous une forme des plus modestes – un livre de poche des éditions Verdier mais bénéficiant d’une nouvelle et excellente traduction –, voilà une bonne occasion de découvrir ou de redécouvrir un grand romancier disparu tout récemment, à 89 ans, sans que son œuvre ait vraiment réussi à franchir en France la barrière d’indifférence longtemps dressée contre les productions littéraires en provenance d’Espagne. Cinq heures avec Mario, publié en 1966, est pourtant, en même temps qu’un de ces grands livres qu’inspirent en la déjouant les rigueurs de la censure, un remarquable exercice de style dont la modernité confond encore. À travers les soliloques éplorés mais pleins de rancœur d’une petite-bourgeoise provinciale et frustrée veillant son mari mort, surgit, au fil des dernières lectures de la Bible soulignées par le défunt, une vision du monde inconciliable entre ces deux êtres. Du petit professeur de lycée épris d’idéal qui vient de disparaître et qu’accablent ses reproches conformistes et mesquins, se dessine en creux la figure d’un juste, sans prétention ni forfanterie, un simple honnête homme qui n’aura abdiqué, dans le matérialisme triomphant d’une dictature stagnante et corrompue, aucune de ses exigences intellectuelles. C’est un livre terrible qui va au-delà de la critique sociale d’un milieu et d’une époque, et auquel la construction, rythmée par les versets d’un livre de sagesse auquel répond le monologue tout prosaïque et célinien de la veuve, confère l’accent d’un scepticisme irréductible mais toujours vivifiant.