Le Figaro, 27 novembre 2004, par Sabine Audrerie

Le prisonnier

Une histoire de fous ! À se taper la tête contre les murs de sa bibliothèque. C’est probablement ce qu’aurait fait n’importe qui à la place de Samuel Mona, l’antihéros de cette histoire rocambolesque. Imaginez le Winston Smith d’Orwell confronté aux problèmes du Joseph K. de Kafka dans le décor de Metropolis. Molina est traducteur-interprète dans une ville-monde dominée par une gigantesque tour en construction, dans une société stérile où la multiplication des langues a conduit à l’incommunicabilité. Le niveau de bureaucratie est tel que tout est notifié, archivé, minuté. Les échanges convenus, les volontés anesthésiées. C’est Babel au bois dormant. Les déboires de Molina commencent le jour où il égare ses lunettes. Il doit se rendre au bureau des objets trouvés, justifier de son identité auprès de l’administration qui, pour son malheur, a égaré sa « fiche d’enregistrement ». Pas de fiche : pas d’existence ! Cet imbroglio mènera Molina, après ses collègues, à douter lui-même de sa propre réalité, Felipe Hernandez, jeune linguiste devenu instituteur, a réuni tous les ingrédients du thriller littéraire : clarté et poésie pour décrire la solitude, l’engrenage, l’arbitraire et l’absurde. Ce deuxième roman est peut-être un peu long, mais drôle, lugubre, captivant et pirouettant au point d’évoquer parfois les meilleures pièces de boulevard. Un Éden infernal.