L’Indépendant, 15 septembre 2002, par Serge Bonnery

L’éditeur de Lagrasse publie un roman de Miguel Delibes qui, une nouvelle fois, se dresse contre la bêtise totalitaire. Il dépeint le parcours d’un adolescent engagé dans les troupes franquistes qui se croyait prédestiné pour une vie de héros.

Qu’est-ce qu’un héros ? Ou, dit autrement : y a-t-il de grands hommes ? Ce questionnement est au centre du roman de Miguel Delibes que les éditions Verdier de Lagrasse publient en cette rentrée littéraire.

Le livre a pour toile de fond la guerre civile espagnole. Mais comme l’annonce clairement la quatrième de couverture : ce n’est pas un livre sur la guerre civile proprement dite, même si tout le poids de cette tragédie pèse sur les personnages campés par l’auteur du récit. Impossible pour le lecteur d’échapper, en effet, à la tension extrême qui s’immisce entre les lignes du texte, une tension qui monte au rythme des événements. Toute la subtilité de Miguel Delibes est d’avoir su contenir, en arrière-plan, une guerre qui, comme on s’en doute, bouleversera la vie des individus qui vont y être confrontés. Car voilà, véritablement, ce qui intéresse l’écrivain. Pas la guerre en tant que fait historique. Mais la guerre en tant qu’elle agit sur les hommes et les révèle dans leur vérité.

Verdier fait sa rentrée sur fond de guerre civile espagnole

Gervasio est né dans une famille de la petite bourgeoisie traditionaliste et provinciale. C’est le personnage principal du roman, que Miguel Delibes prend quasiment à sa naissance pour le conduire jusqu’à l’âge adulte. Gervasio n’est pas un enfant ordinaire. La musique militaire le met en transe, jusqu’à lui faire dresser les cheveux sur la tête.
Comme un éventail. Loin de considérer cela comme une tare, son oncle, nostalgique des guerres carlistes, s’emploie à cultiver chez Gervasio ce qu’il juge comme une prédisposition surnaturelle à l’héroïsme. Malgré un père médecin naturiste et libertaire à qui le phénomène est, pendant un temps, soigneusement caché, Gervasio se croit promis à un destin exceptionnel. La guerre se chargera de mettre cette conviction à l’épreuve des faits.

Comme tous les romans de Miguel Delibes, celui-ci se déploie comme un éventail. Parmi ses multiples facettes, on retiendra l’attention particulière accordée dans le récit au microcosme familial que la guerre civile écartèle, entre liens du sang et divergences politiques. Miguel Delibes trouve là l’occasion de dresser quelques portraits ciselés : un genre dans lequel on sait que l’écrivain excelle.

Mais L’Étoffe d’un héros, c’est aussi la relation entre un père républicain retenu prisonnier, dès les premiers soulèvements populaires, dans les arènes de la ville et un fils engagé dans les troupes franquistes. Enfin, Miguel Delibes a écrit là un roman d’apprentissage : comment Gervasio va se confronter aux autres, lui qui a vécu une enfance coupée des réalités du monde, comment cet adolescent va apprendre l’horreur, la peur, le mensonge… bref, comment Gervasio va affronter la vie.

L’étoffe des hommes. Dans ce face-à-face avec la réalité, surtout s’il s’agit d’une guerre et d’une guerre civile de surcroît, qui peut dire qui sont les héros ou simplement s’il en existe ? La vraie question, ici, serait plutôt : quelle est l’étoffe des hommes quand l’habit qu’on leur a fabriqué se déchire ?

Miguel Delibes n’a cessé de dresser son travail littéraire contre la bêtise totalitaire. Avec L’Étoffe d’un héros, par les valeurs de tolérance ici défendues, l’écrivain ajoute une pièce maîtresse à son œuvre.