L’Indépendant, 10 février 2013, par Serge Bonnery

À cause des toros

Réalisateur d’émissions taurines pour France 3, Jean-Michel Mariou, aficionado et journaliste, vit au rythme des temporadas tauromachiques. Dans Ce besoin d’Espagne, il nous offre en partage sa passion des toros.

Comment est né ce Besoin d’Espagne ?

À l’origine, il s’agit d’un carnet de route. Je n’étais pas sûr que cela ferait un livre. Je n’avais pas de projet littéraire a priori. Et puis, il y avait aussi ces Lettres à Bastien, mon fils, installé en Andalousie non pour les toros mais pour devenir guitariste flamenco. Ces lettres constituent l’embryon du livre que des amis lecteurs m’ont encouragé à réaliser. Et, enfin, il y a « Bob1 » qui voulait que j’écrive un livre à partir d’un texte que j’avais consacré à Nimeño2. À l’époque, je n’avais pas donné suite. Et puis…

Ce livre, sorte de road-movie sur la route des toros, donne à voir des paysages…

Ils font partie de l’histoire. Ils sont omniprésents. Ils produisent des émotions esthétiques, au même titre qu’une faena. Mais les décrire est difficile. La description, c’est un des grands défis de la littérature.

Des paysages et puis des hommes aussi…

L’univers du toro m’intéresse pour les histoires qu’il produit. Ce sont des histoires portées par des personnages hors du commun. Des gens pour qui la vie, ce n’est pas assez et pour qui le toro est ce qui te sort de la boue. Tous ces gens ont un jour rêvé de devenir toreros. Peu y sont parvenus. Ce qui signifie qu’une grande majorité a échoué. Ce qui m’intéresse est de comprendre comment ces hommes ont fait pour garder en eux le plus riche de leur rêve. Comment ils sont parvenus à garder du chemin toute la grandeur qui les y a poussés.

Et vous avez découvert…

Qu’ils n’ont pas raté leur vie.

Venons-en au toro, personnage important du livre. Comment vous est venue cette passion ?

À vingt ans, je ne voulais pas aller aux corridas. J’étais un lecteur de Bataille, de Leiris. Je connaissais les « toros de papier », ce que les écrivains en disaient. J’ai tardé à ressentir le besoin de pénétrer dans une arène. Mais je me souviendrai toujours de la seconde où, pour la première fois, j’ai vu un toro. C’était dans un corral des arènes de Béziers. J’ai ressenti une peur que je ne connaissais pas. J’avais éprouvé la peur de rouler vite en moto et de sentir la roue du camion quand elle te frôle. Mais cette peur-là, venue du fond des âges…

Le livre accorde une belle place à Séville. Votre ville ?

Une ville où je ne vivrais pour rien au monde mais où il me coûte de n’aller actuellement que trois fois par an au lieu de quatre. Séville est une ville qui n’a rien perdu de l’art et de l’envie d’être ensemble. Et ça, ce n’est pas rien.

L’exigence de la distance

Les toros, les toreros, bref le mundillo, s’il pouvait se résumer, pourrait tenir dans une histoire de pères. Le père que Christian Montcouquiol – Nimeño II – n’a pas eu, le père « cassé » qu’est Denis Loré dont un enfant est handicapé, le père « violent » dont eut à souffrir Sébastien Castella…
Jean-Michel Mariou est sensible au fil invisible qui relie les hommes. À force d’observer, d’interroger, de confronter, ce journaliste aficionado a appris des toros que la vie est une question de distance. Celle qui nous met en présence des événements et des personnes qui font ou défont nos vies. En bien. En mal. La distance, Jean-Michel Mariou l’a trouvée dans l’écriture de son livre. Son premier. Lui, qui tant vit au milieu d’eux, les livres, entre le Banquet de Lagrasse dont il est l’une des chevilles ouvrières et les éditions Verdier qu’il tient chevillées au cœur, a pris du temps avant de poser sa voix. Le temps de l’exigence et de la distance. Il a consacré beaucoup de ce temps à en parcourir, d’infernales distances, pour voir, apprendre, comprendre. S’il a rêvé de toros, il ne s’est jamais rêvé torero. Une nuit, il s’est juste réveillé, en un sursaut de sueur, la peur au ventre, avec la certitude que cette peur-là ne le quitterait plus. Restait alors, pour en parler, à nouer le fil invisible. Jean-Michel Mariou s’est donc assis. Pour conter. Ce besoin d’Espagne est un livre qui se lit « à hauteur d’homme », dirait Joë Bousquet, c’est-à-dire au plus près de ceux qui écrivent l’histoire de la tauromachie. Dans ce monde, il se trouve qu’il n’y a ni grande ni petite histoire. Il y a seulement un chemin sur lequel piétinent, incertains, des types déglingués et que l’arène répare ou tue. Tel Christian Montcouquiol, torero brisé duquel jamais Jean-Michel Mariou ne s’éloigne : « Christian ne s’intéressait qu’aux regards qui l’extirpaient de la petite mécanique des jours ». Extirper l’homme de cette mécanique-là n’est pas l’objet seul de la tauromachie. Il est aussi – le texte de Jean-Michel Mariou en témoigne – l’essence de la littérature. Suerte…

 

1. Gérard Bobillier, fondateur des éditions Verdier, décédé en 2009.
2. Christian Montcouquiol, dit « Nimeño II », qui s’est suicidé en 1991 après avoir été grièvement blessé par « Panolero », un toro de Miura dans les arènes d’Arles.