Elle, 4 décembre 1995, par Gérard Pussey

Un modeste employé enquête sur son passé. Roman policier ou conte métaphysique ?

Qui est Miguel Delibes, inconnu en France ou presque ? « Je suis un chasseur qui écrit » : ainsi se définit l’homme, né en 1920, à Valladolid, où il dirigea un important quotidien pendant plus de quarante ans. Un citadin épris d’une campagne castillane qu’il s’applique à dépeupler en perdreaux et à décrire dans ses livres : cinquante titres dont une vingtaine de romans. Camilo José Cela, lorsqu’il se rendit à Stockholm chercher son Nobel, reconnut que le prix aurait pu tout aussi bien couronner l’œuvre de son ami Miguel. Merci pour lui, mais les Espagnols savent très bien qu’ils tiennent en Delibes un immense écrivain.

Dans son dernier ouvrage traduit, Le Fou, l’auteur abandonne son sujet de prédilection, la paysannerie castillane, qu’il met habituellement en scène avec de violents accents buñueliens (notamment dans Les Rats et Les Saints Innocents, chez Verdier), pour nous montrer un citadin de province, Lenoir, modeste employé de banque, irréprochable jusqu’au moment où un homme, Robinet, entr’aperçu dans un café, fait basculer son existence. Possédé par le souvenir de cet individu qui semble lié à son passé et qu’il veut à toute fin retrouver, Lenoir dérape, sa femme, Aurita, et ses collègues de bureau s’alarment. « Nous passions un mauvais moment, et moi, je savais que la cause, ce n’était pas Aurita, ni moi, mais Robinet… »

Un Robinet qui détient sans aucun doute les clefs d’un moment capital de la vie du narrateur. La filature engagée par Lenoir va le conduire à Pau, sa ville natale, où l’intrigue se dénouera de façon inattendue autour de l’obsédante figure.

Un livre noir, curieux et haletant, qui maîtrise un parfait équilibre entre le roman policier et le conte métaphysique et où Delibes serre au plus près deux thèmes récurrents de son œuvre : la marginalité et la mort.