La Quinzaine littéraire, 1er juillet 1993, par Lou Bruder
Dans la perspective de la relation d’incertitude qu’illustrèrent déjà implicitement les grands baroques allemands, il convient de parler ici d’une œuvre contemporaine, la très singulière École du virtuose, dont l’auteur autrichien, Gert Jonke, demeure toujours inconnu en France. Dans la mouvance baroque en effet, ce long récit apparaît comme son inévitable retombée en point d’orgue. Le propos se veut dément : le photographe Diabelli et sa sœur – l’androgyne ?– ont imaginé de reproduire à l’identique une fête donnée un an auparavant…
Le passé, ici, n’est plus simple mais confondu au présent. Théâtralisation absolue et comme s’annulant par hyperspectacle. Monde en affoloir ultime de spectralité : la réalité dépasse la fiction et inversement dans un vain quoi est quoi. On y est tellement qu’on n’y est plus.
L’École du virtuose est texte de rapt dont le héros, Diabelli, relève, bien sûr, du démoniaque babélien. Satire « hénaurme » d’une société crépusculaire : par suppression de l’autre en sa différence sacrée, l’amour plus ou moins définitivement perdu. Ce premier récit est suivi – en allusion au tableau de Klee ? – de « Gradus ad Parnassum » : déambulation labyrinthique dans un grenier à bric-à-brac de Conservatoire aux instruments hors d’usage et qui n’est que l’intérieur d’un cerveau en déphasage limite : le concert impossible. Les limbes et vertiges du siècle. Une rhapsodie écrite dans une langue à suivre au bout de la nuit. Deux récits donc, en anamorphose, et à lire dans leur interférence. Baroquissimo. C’est traduit dans la bouche même en toute sa résonance par Uta Müller et Denis Denjean.