L’Humanité, 25 août 1993, par Jean-Claude Lebrun
Du pays ultraconformiste qu’est l’Autriche, des talents étranges depuis quelques années nous font signe : Thomas Bernhard naturellement dont la mort n’a pas assourdi l’écho, Elfriede Jelinek, dont les écorchures semblent avoir trouvé à s’exprimer dans une inépuisable véhémence, et Gert Jonke, qu’on découvre ces temps-ci grâce à une traduction restituant avec inventivité le mélange d’onirisme, d’intellectualité et d’esprit satirique qui lui est propre. Il y a là une nouvelle fois quelque chose de tout à fait particulier, d’une extrême modernité en même temps que puissamment enraciné dans la tradition de réalisme fantastique du conte germanique. Ce n’est manifestement pas sans raison que l’on a pu citer Hoffmann à propos de cette œuvre. […]
Ce livre insolite et fascinant multiplie les effets de miroir, les perspectives et les suggestions. Deux scènes littéralement extraordinaires laissent d’ailleurs jaillir à l’état pur un fantastique angoissé, issu en droite ligne d’E.T.A. Hoffmann. Car il est clair que cet « extrême contemporain » s’enracine dans de solides traditions, en brassant et retravaillant tout un héritage, lointain ou proche, pour affronter, sans réponse préconçue, la question de l’acte créateur. « Le manque d’imagination de ma prétendue “raison” finit toujours par me rattraper et par me vaincre », constate le compositeur-narrateur, soulignant du même coup la fragilité de ces instants, avec, toujours en suspens, la menace pour lui de retomber dans le langage commun et sa logique sans surprise. En d’autres termes, de devoir renoncer à la subversion de l’écriture.