24 heures, 4 avril 2006, par Julien Burri
Paroles de désespoir et de consolation
Le Prix Nobel de littérature Nelly Sachs, née à Berlin en 1891, contrainte de s’exiler à Stockholm en 1940 à cause des persécutions nazies, restera marquée à jamais par la mort de son fiancé dans les camps de concentration : « Tout a émigré avec toi/tout mon bien aliéné. » C’est lui qu’elle « délivre de l’invisibilité », le rappelant par l’écriture : « C’est toi que j’écris/Tu es revenu au monde/avec la force spectrale des lettres. » Ce troisième et dernier tome, réunissant les poèmes écrits entre 1960 et 1970, année de la mort de Sachs, est marqué par une forte inspiration religieuse.
On aurait souhaité des notes pour faciliter la lecture et la compréhension des multiples références à la mystique juive : le vocabulaire religieux paraissant lourd et hermétique, notre préférence va aux poèmes dépouillés et limpides, où l’écriture touche à la fois « l’horreur extrême » et « l’extrême compassion ». Habitée par l’inquiétude, confrontée à l’impossibilité de dire le « point-néant » que fut l’Holocauste, la poétesse refuse pourtant de « jouer à cache-cache devant la douleur » : « Mon devoir est d’aller chercher dans l’effroi », écrit-elle avec une lucidité qui lui fait ressentir l’instabilité d’une vie cheminant « sur un cratère de flammes » et qui peut disparaître à tout instant.
Durant les dernières années, cette inquiétude est si grande que Sachs souffre de dépression et doit être internée. Alors que sa parole fraternelle est traduite dans le monde entier et se voit récompensée par le Nobel, Nelly Sachs s’enfonce « dans la forêt d’ortie de la folie », dans « le marécage de la maladie ». Elle clôt son œuvre en adressant une supplique à la nuit, cette nuit à la fois protectrice et dangereuse : « Viens et verse-moi des rêves. »