Études, avril 2006, par Nicole Bary
« Mourir leur arrache seule la vérité de la détresse/Refrains taillés dans le noir de la nuit/balbutiements/à la fin de l’orgue de terre. » Comme un cri douloureux, la parole poétique de Nelly Sachs jaillit de l’abîme vertigineux de l’innommable et vibre des désespoirs de toutes les victimes de la Shoah. Partage-toi nuit réunit les poèmes écrits au cours des dix dernières années de sa vie ; le lecteur francophone dispose ainsi de l’intégralité de son œuvre, grâce au talent de Mireille Gansel qui a su trouver les mots à la mesure du souffle et du langage poétiques de cette grande poétesse du xxe siècle. Née à Berlin en 1891, émigrée en Suède en 1940, Nelly Sachs mêle, dans une alchimie mystérieuse et bouleversante, l’allemand de sa ville natale aux accents hébraïques de la traduction de la Bible par Martin Buber et Franz Rosenzweig, ainsi qu’à l’allemand de la Mitteleuropa des traducteurs. Comme ceux de Paul Celan avec qui elle entretint une correspondance assidue pendant plus de quinze ans, les poèmes de Nelly Sachs sont des « demandeurs d’asile spirituels » qui portent « le fardeau dont est chargée l’âme des morts ». Grande lectrice de la Bible, elle a puisé dans la spiritualité juive, et surtout hassidique, la force d’élever l’horreur jusque-là où règne la transfiguration », comme le révèlent les poèmes dans Partage-toi nuit. La détresse, la douleur, la mort, le deuil ne dessinent pas un horizon bouché. Au-delà des ténèbres, une lueur se devine. « Mort – blanche est ma nostalgie de toi/[ …] Découverte inanimée de l’au-delà –/ – Résurrection. » Ni haine ni ressentiment chez Nelly Sachs, mais une parole « salvatrice » qui rend à l’humanité sa dignité, comme l’ont remarqué le jury du Prix Nobel (1966) et le poète Hans Magnus Enzensberger, qui ajoute : « Au bourreau, et à tout ce qui fait de nous des complices et des acolytes, elle n’adresse ni pardon ni menace. »