Le Mensuel littéraire et poétique, mai 1999, par Alain Suied
Nelly Sachs : Cendre et lumière
[…] Nous voici en présence de l’intégralité de Dans les demeures de la mort – commencé en 43 – vaste célébration funèbre et secret poème d’amour au fiancé disparu, cri et adresse aux bourreaux et aux victimes… et nous voici en présence du deuxième recueil : Éclipse d’étoile, écrit après la guerre et tourné vers Israël et ses hautes figures bibliques. La voix de Nelly Sachs résonne enfin dans toute son amplitude, dans toute sa profondeur. C’est notre siècle fou qui parle à travers sa voix inoubliable. Nelly Sachs parle aux bourreaux : dans ce temps qui a détruit la parole et assassiné les voix, elle reconstruit la relation à l’autre, souligne le poids de l’inhumain en utilisant le moyen le plus fragile de l’humain – le souffle.
Poésie du souffle, de la confidence, appel à la poussière, cette poésie puise dans le dénuement, sa richesse, dans la mémoire d’un peuple, son sursaut d’avenir, dans la poésie détruite, son pouvoir d’écoute et d’échange.
Nelly Sachs parle aux « spectateurs » qui n’ont rien fait pour contrer la maladie nazie, pour protéger les enfants assassinés (« Combien d’yeux de mourants vous dévisageront / Lorsque, quittant vos cachettes, vous cueillerez la violette ? »), mais c’est pour dire que « la poussière » sera « transfigurée / en lumière »…
« Poussière qui est là, ouverte pour la rencontre bienheureuse / poussière qui laisse monter son être / qui se mêle à la parole / des anges et des amants »… La poétesse juive sait retrouver, au cœur de sa mémoire et au centre du travail poétique, la leçon de l’être : au plus noir de la cendre, la lumière a pu naître.