Le Monde, 30 juillet 1999, par Patrick Kéchichian
La nuit transfigurée
À côté de celle de Paul Celan, l’œuvre de Nelly Sachs est née de la Shoah. L’une et l’autre opposent la parole du poème à l’ordre de la mort. Comme Celan, dont elle fut l’amie, Nelly Sachs écrit en allemand. Juive, née à Berlin en 1891, elle réussit à fuir le nazisme en mai 1940. Grâce à Selma Lagerlöf, elle trouva refuge à Stockholm. Son œuvre, couronnée en 1966 par le Nobel, est postérieure à cet exil. De santé mentale vacillante, elle mourut en 1970, quelques semaines après le suicide de Paul Celan à Paris.
Poète de la nuit, Nelly Sachs a puisé dans la religiosité juive, et singulièrement dans le hassidisme, la force d’« élever », comme elle l’écrivait dans une lettre en 1946, « l’horreur jusque là où règne la transfiguration ». En 1959, Hans Magnus Enzensberger la saluait en ces termes : « Sa langue est habitée par quelque chose de salvateur (…) Son œuvre ne contient pas une parole de haine. Au bourreau, et à tout ce qui fait de nous des complices, et des acolytes, elle n’adresse ni pardon ni menace (…) Les poèmes parlent de ce qui a visage humain : des victimes. C’est ce qui fait leur énigmatique pureté. Ce qui les rend inattaquables. »
Deux recueils complets de Nelly Sachs, composés entre 1943 et 1948, figurent dans ce volume. Aucune langue n’appartient seulement aux bourreaux : Mireille Gansel rappelle que l’écrivain lisait la Bible, dans la traduction allemande que deux juifs, Martin Buber et Franz Rosenzweig, avaient commencée en 1925.