Lire, avril 2003, par Claude-Michel Cluny
Écrits dans les années cinquante, ces poèmes font suite au recueil réuni sous le titre Éclipse d’étoile, publié par Mireille Gansel chez le même éditeur en 1999. La guerre mondiale vient de s’achever dans un monde en cendres – les cendres des corps et de l’esprit d’humanité. Nelly Sachs (1891-1970), réfugiée en Suède après avoir échappé à la déportation, cherche dans ces « paysages de cris » avec quelles figures nouer un dialogue pour recommencer à vivre, pour affronter le désastre de ce qui lui paraît annoncer la fin du temps. Le Prix Nobel lui est décerné en 1966.
Le Zohar, pour son enseignement, mais aussi les figures exemplaires de Lear et de Laocoon, de Jérôme Bosch et d’Abraham s’avancent sur le seuil des poèmes, des cités maudites – Sodome, Ninive –, des déserts et des solitudes.
Sur le seuil de la mémoire de la mère décédée, lumineuse et douloureuse ; dans l’attente d’une incertaine « métamorphose du monde » qui briserait la chaîne des désastres. Appel et refus donnent, par leur alternance, un chant haché à ces pages plus proches de la supplique et de l’inespérance que de l’incantation. Nelly Sachs écrit, dès le poème initial : « Les lèvres contre la pierre de la prière / toute ma vie j’embrasserai la mort », sans convaincre de sa victoire sur la « séparation » de l’être et de l’humain ? Le verbe ici n’a pas l’énergie ni le souffle de prophétiser. Nous l’écoutons s’élever, dire la brisure, la souffrance, la nuit, puis retomber, comme détruit par son propre effort, acceptant que « le silence [soit] un nouveau pays ». Ce n’est pas ici la force, la colère, l’imprécation qui sont en jeu ; mais, ce qui peut alors nous émouvoir, une palpitation, comme d’une trop évidente blessure – « lèvres perdues de la plaie » –, et le silence des grandes ombres convoquées.