Los Muestros, mars 1995, par Maurice Chavardès
L’écriture et la vie
Miryam a marqué en 1983 le retour, au premier plan de la scène littéraire allemande, de la romancière Luise Rinser, qui n’avait pas publié de roman depuis L’Ange noir (1974).
Il a connu dans les pays de langue allemande un succès considérable (plus de 500 000 exemplaires) et l’on peut espérer qu’il fasse redécouvrir en France le talent de conteur de cette romancière dont quinze livres ont été traduits en français dans les années 60 et 70 aux éditions du Seuil.
Dans Miryam, l’un des témoins capitaux de la vie du Christ, Marie de Magdala, se raconte et décrit son itinéraire spirituel. Réfugiée dans la petite grotte des Saintes-Maries-de-la-mer, aujourd’hui bien connue des touristes, elle passe en revue les étapes de sa vie et conteste les idées reçues sur « Jésus » (Iechouah de Nazareth), sur son entourage, et sur sa propre destinée.
Luise Rinser s’appuie ici sur une solide documentation historique et sur une connaissance précise du judaïsme, avec le souci constant de toujours rester accessible, même aux lecteurs peu familiers de la Bible ou des Évangiles. Sous sa plume, Marie Madeleine n’est plus une prostituée, et ce n’est pas non plus l’esprit fantasque et rêveur à qui Renan attribuait la principale responsabilité de ce qu’il appelait « l’invention », de la résurrection du Christ. C’est une femme indépendante qui prend ici la parole, refusant le rôle dans lequel la société de son temps veut cantonner les femmes. Riche et belle, elle ne veut pas de mari et préfère l’étude de la Torah, normalement réservée aux hommes.
Trilingue, elle découvre la philosophie grecque. Esprit rationnel, elle n’est pas prête à s’en laisser conter et déteste le mysticisme vague des anachorètes.
Sa quête commence par un désir de libération : sa propre libération, et celle de son peuple, opprimé par les Romains. Elle sera pourtant l’une des premières à comprendre que l’enseignement du Nazaréen est tourné vers un sens différent du mot « liberté ». Après avoir conquis de haute lutte sa place parmi les disciples – peu enclins à accepter une femme ! – elle deviendra l’une des figures les plus rayonnantes du mouvement déclenché par l’enseignement de Iechouah, à un moment où il ne s’est pas encore changé en « église ».
Au fil du livre, Luise Rinser réhabilite la figure de Juda (Iehouda), montrant qu’il n’est en rien le traître vulgaire que l’on voit d’habitude en lui. Elle n’hésite pas à contester l’authenticité de certains propos le concernant, prêtés au Christ par les Évangiles.
Sous sa plume, les Apôtres, plus généralement, ne sont jamais des images d’Épinal mais des figures individuelles, de fortes personnalités nettement dessinées. Luise Rinser trace du Christ un portrait humain, vivant, dont le caractère le plus remarquable est de laisser à chaque lecteur le soin de décider quel statut il lui accorde – divin ou humain, fondateur de religion ou rénovateur spirituel. Le livre acquiert ainsi une densité humaine qui, avec l’intensité poétique de l’évocation des villes et des paysages de Judée, n’est pas la moindre de ses qualités.
Née en 1911, à Pitzling en Bavière, Luise Rinser a publié son premier récit, Les anneaux transparents, en 1941. Interdit par la censure, ce livre lui vaut également une suspension de ses activités d’enseignante ; arrêtée en octobre 1944 pour activités de résistance, elle est détenue jusqu’à l’arrivée des Américains. En 1946, le Journal de captivité qu’elle tire de cette expérience lui vaut un fort début de renommée littéraire. C’est son premier chef-d’œuvre : Jan Lobel de Varsovie (1948) qui consacre sa réputation ; traduit en 1954 en France par Clara Malraux aux éditions du Seuil, il connaît dans toute l’Europe un grand succès.
Dès lors, Luise Rinser alterne nouvelles et romans, pour la plupart consacrés à des destins de femmes d’aujourd’hui, avec des recueils de notes intimes, des écrits autobiographiques, des récits de voyage. Elle vit aujourd’hui à Rocca di Papa, près de Rome, et a publié deux autres romans depuisMiryam ; la sortie du second tome de son autobiographie est, en Allemagne, l’un des événements littéraires de cette rentrée.