Sud-Ouest dimanche, 25 janvier 2004, par Yves Harté
Quiñones, le maestro
Comment les détours des arènes deviennent réflexions philosophiques.
Fernando Quiñones, Andalou de Cadix, mort en 1998 à 68 ans, regard d’alligator et vie remplie, avait comme les capes de torero, deux faces réversibles. En voilà une autre, obscure et cachée. Avant même d’avancer dans l’univers de ces treize récits, autant préciser qu’il s’agit d’une petite et précise leçon de lecture et d’écriture. Quiñones, que Borges considérait comme un maître, a donc pris un chemin de traverse, celui de la ruelle et du callejón, pour faire connaître enfin en France la terrible exactitude de son œil. Il ne s’agit pas ici d’une glorification des arènes. On ne sait d’ailleurs si Fernando Quiñones aimait la corrida. On peut imaginer qu’à la fin de sa vie, il en était largement détaché. Mais on peut être certain à la lecture de ses récits qu’il la connaissait parfaitement, surtout dans ses rouages où, à l’extrême bout de la piste, entre piste et gradins, se triture le plus trivial, le plus laid et le plus profond de la nature humaine.
Pourquoi ces récits nous bouleversent-ils ainsi ? Parce qu’ils racontent avec une économie de style, une acuité de pensée et une tendre sécheresse les histoires bouleversantes de notre condition. Que fait cet Andalou dans ses récits taillés à la hache, sinon nous donner à voir ce que nous partageons de plus banal. Il raconte le poids de la vie à travers l’un des plus tragiques métiers du monde. La profession de torero. Il nous montre les coulisses, les paillettes ternies, les mensonges secourables. Souvent la mort détournée. Ces nouvelles sont tauromachiquement irréprochables et stylistiquement ahurissantes.