La Croix, 15 mars 2012, par Sabine Audrerie
Après la vague
Alors que s’ouvre le Salon du livre de Paris, dont le Japon est l’invité d’honneur, la création littéraire japonaise, déjà marquée par la vision de la catastrophe, commence à intégrer la déflagration de Fukushima.
À l’instar d’événements aux retentissements mondiaux, à la fois humains, matériels, et philosophiques, tels les guerres mondiales, la Shoah ou le 11-Septembre, le tsunami du 11 mars 2011 et l’accident de Fukushima ont bouleversé la création littéraire, au Japon et au-delà. Les arts japonais avaient intégré dès 1945 la vision de la catastrophe, frappés comme le pays par la bombe de Hiroshima. « La culture populaire s’est attachée à narrer l’inénarrable et à montrer l’in-montrable, expliquait l’historien Jean-Marie Bouissou (lire La Croix du 1er juillet 2011). Elle a donné symboliquement un sens à ce qui n’aurait été, sans cela, que destruction cauchemardesque. En extériorisant et en interprétant le traumatisme historique, elle a permis au Japon de ne pas se perdre dans la peur, la douleur et la colère. »
Mars 2011 constitue l’irruption de l’impensé. […] Yoko Tawada, dont le Journal des jours tremblants évoque la traduction littéraire et l’image du Japon en Occident à travers trois « leçons », analyse son trouble et l’acte d’écrire après le 11 mars : « L’an dernier, à l’époque où j’envisageais ces leçons de poétique et réfléchissais au titre que je pourrais donner à chacune d’elles, je ne pouvais pas savoir qu’une telle catastrophe se produirait. Elle m’a jetée par-dessus bord. Dans l’eau froide. »
[…] C’est la littérature dans son ensemble qui s’en trouve modifiée, celle passée, et bien sûr celle à venir. « Un auteur m’écrit qu’après ces catastrophes, certains livres ont soudain perdu tout intérêt pour lui, sans qu’il puisse dire pourquoi, confie Yoko Tawada. Il a commencé à dresser une liste des livres “sûrs en cas de séisme” c’est-à-dire des livres qui gardent leur valeur après les catastrophes. »