Le Magazine littéraire, octobre 2009, par Chloé Brendlé

Une Japonaise germanophone à Bordeaux

Yoko Tawada a étudié le russe au Japon. Pris le Transsibérien pour se rendre en Europe. S’est installée en Allemagne, où elle écrit, tantôt en japonais, tantôt en allemand. Dans son nouveau récit, c’est son double, Yuna, qui se met en tête d’apprendre le français. Yuna aurait souhaité se rendre pour cela à Dakar, mais, à défaut, se retrouve à Bordeaux. Son hôte lui recommande « four important places in Bordeaux : the garden, the market, the utopia and the water ». De cette ville dont Marie NDiaye avait fait le cadre de Mon cœur à l’étroit, on ne saura pourtant rien, ou presque. Car l’auteur maîtrise l’art de « découdre ». Elle juxtapose des bribes de souvenirs et une collection de personnages qui deviennent, au gré de ce labyrinthe textuel et à l’insu de l’héroïne, des étrangers. Ce court roman, scandé par des idéogrammes esseulés entre deux paragraphes, donne au lecteur un léger vertige, comme s’il commettait un faux-pas : il n’est jamais tout à fait sûr de ce qu’il vient de lire. La narratrice fait en effet peser avec malice le doute sur les mots et les choses (« désentortiller », « aimer », « nonne », « lignes », « Tu », « Je »…). Dense et intrigant, ce livre contient d’étonnants passages. Difficile de déterminer s’il s’agit d’anecdotes fantastiques ou d’allégories portant sur l’identité, comme cette histoire de l’amie devenue littéralement esclave de sa propre maison, ou la scène finale : dans une piscine bordelaise, la narratrice se fait voler son dictionnaire franco-allemand et sa date de naissance…