Topo, la caravane littéraire, septembre 2005, par Carine-Sophie Bellot

« N’était-il pas normal qu’un esprit emporté sur le dos du train à travers la nuit, au-dessus de toute la souillure terrestre, sente, une fois revenu sur terre, ses pieds mous et affaiblis ? »

Née au japon, Yoko Tawada a découvert l’Europe, où elle réside désormais, par le Transsibérien. Train de nuit avec suspects se compose de treize voitures : autant de chapitres qui, dans certains cas, sembleraient des récits indépendants, ne fussent d’une part la présence constante en ces divers compartiments, en ces divers lieux mouvants, du personnage de la chorégraphe voyageuse et, d’autre part, l’utilisation de la deuxième personne du pluriel au lieu de la première du singulier, comme en écho à La Modification de Michel Butor. Lors de longs voyages solitaires, le soi se trouble, déviant à la fois vers l’autre – celui dont on s’éloigne, celui dont on s’approche ou celui qu’on rencontre en chemin – et à l’intérieur de lui-même, selon ces mêmes arabesques d’éloignement-rapprochement qui font de ce livre un texte déroutant, quand bien même vous le liriez à l’arrêt.