Études, janvier 2009, par Nicole Bary
« J’engage le matin le combat avec la langue dans l’espoir que le soir je vainque, l’air brave, sur le champ de bataille du clavier, mais à chaque fois je sors vaincu. » Langue maternelle, le troisième volume d’une trilogie intitulée La Carinthie sauvage (dont les deux premiers restent à paraître en français) est un combat avec la langue, la tentative de rassembler dans l’écriture « les morceaux de [la] tête », d’évacuer des images obsédantes, d’écrire les fantasmes et les désirs inassouvis, les rêves, les émois inavouables, les transgressions de tous les codes de ce microcosme qu’est l’Autriche profonde dans laquelle J. Winkler a vu le jour. Derrière le récit éclaté et polyphonique qui se joue de la chronologie, se dessine l’enfance d’un fils de paysans autrichiens dans les années 1950. Comme dans les deux précédents romans, J. Winkler règle ses comptes avec le lieu de l’origine, un village de Carinthie, la famille, et l’Église catholique, en un mot avec tous les représentants de l’autorité répressive qui a aliéné son enfance. Dans l’atmosphère étouffante du village replié sur son secret – le suicide de deux jeunes adolescents homosexuels –, dans la ferme familiale où règne la rudesse de rapports humains sans chaleur, le narrateur essaie de survivre en trompant la solitude avec les mots. Et survivre, pour J. Winkler, c’est dire ce qui ne se dit pas, transgresser toutes les limites, celles du masculin et du féminin, de la vie et de la mort, de l’humain et de l’inhumain. Mort et sexualité sont les thèmes récurrents de ce texte fascinant et se conjuguent dans un cri de souffrance que rien ni personne ne peut apaiser. Dans l’univers de J. Winkler la rédemption n’existe pas. Prix Büchner 2009, l’une des plus hautes distinctions littéraires dans les pays de langue allemande, J. Winkler partage avec ses aînés, Thomas Bernhard et Elfriede Jelinek, la radicalité du propos et la fulgurance de l’écriture.