La Quinzaine littéraire, 1er septembre 1992, par Lou Bruder

Dans la comédie L’Homme difficile, l’homme difficile c’est Karl Hans, comte de Bühl, qui est apparemment rentré sain et sauf de la tuerie de 14-18, mais semble toutefois être resté « là-bas ». Historiquement et viscéralement c’est un homme coincé « Il vit dans la porte », comme on dit en Autriche. En relation d’incertitude quotidienne. Hans Karl, écorché vif, hypersensible jusqu’à la paralysie, d’une subtilité quasiment byzantine de fin de règne, souffre d’une plénitude critique qui risque de devenir néante par excès. La figure du comte renvoie ainsi spectralement à l’éclatement de la sénile monarchie danubienne. Sapientel recours extrême demeure Hélène, orient secret du comte : happy end oblige. Chez Hofmannsthal, à la différence de Musil, cet autre homme sans qualités qu’est Karl-Hans, s’esquive par une pirouette douce amére en abyme pour raison souriante de Konversationsstück, de comédie baroque dite d’évanouissement. Sous la légendaire Gemütlichkeit autrichienne, sous une morbidezza aristocratique de bon aloi surtruffée de locutions françaises transparaît, néanmoins, l’apocalypse sournoise mais définitive d’un monde. Aboli bibelot d’inanité sonore…