TGV magazine, novembre 2004, par Philippe Di Folco
Sur la rive du Gange
On se souvient du Cimetière des oranges amères (1998) dans lequel l’Autrichien Josef Winkler offrait, entre Rome et Naples, le ravissement promis aux lecteurs en quête de pèlerinages nostalgiques et de vieux parapets, comme si les ombres fantomatiques de l’empire austro-hongrois n’en finissaient plus de s’épandre. Ce livre-ci ne manque pas non plus « d’esprits » : l’Inde, dont il est question, se dessine entre rivière sacrée et réformation de l’âme. De cérémonies en rituels, un Européen décide de faire le point sur sa vie : comment en être autrement dans un pays multimillénaire ? Ici, point de médiation possible : on ne filme pas les ghats, lieux de crémation, Bénarès reste une ville interdite au spectaculaire, même le dessin reste en suspens. Seule l’écriture, ultime compromis, demeure retenue à la fois par l’écrasement qu’une telle avalanche de symboles provoque, et débridée, par la conjonction du cosmos, de la passion et de la révélation qu’elle appréhende. Winkler propose un bonheur rare : celui d’entrer dans une double intimité, celle d’un esprit occidental cherchant « à perdre sa peau », sa part d’ombre, et celle, plus secrète encore, de pénétrer en un continent à jamais mystérieux, l’Inde du Gange, qu’aucune ruse, même intelligente, ne viendra jamais déflorer. Un voyage intérieur, plus encore ici, une promesse de l’aube pour nos mornes crépuscules d’hiver.