La Marseillaise, 12 février 2003, par Claudine Galea

Dans le bruit du vent

Avec la traduction de cent sept haïku de Masaoka Shiki, les éditions Verdier poursuivent leur travail de découverte de cet art japonais fascinant.

« Les champs au printemps / dans quel but les gens qui vont / les gens qui reviennent ? »

Les mots sont posés là, comme les choses, comme l’arbre dans le jardin, la lampe sur la table, le laboureur dans son champ. L’ordre du monde est cependant troublé par le désordre des esprits, et il semble que la poésie soit là pour retrouver le sens perdu, et la jouissance de ce qui dans l’innocence de la naissance nous est donné.

Gaspilleurs de vie, les hommes rechignent à la simplicité. La poésie de haïku rend pourtant cette simplicité ardente et absolue.

Dans l’excellente traduction de Joan Titus-Carmel qui a déjà traduit trois volumes de haïku aux éditions Verdier, ceux de Shiki, considéré comme le père du haïku moderne, sont merveilleusement disposés sur la page. À gauche le japonais, en haut la transcription phonétique, en bas la traduction française. Au centre, le vide de la page ivoire légèrement tramée, invitant à la méditation et au silence.

« la lampe s’éteint / traversant le basho / le bruit du vent »

Entre l’observation et la description, une philosophie de l’existence se glisse, une proposition d’être : « Un banc de truites / est passé devant mes yeux – / la couleur de l’eau ! »

Shiki est sans doute un homme malade, affaibli quand il compose ces cent sept haïku. La mort affleure au détour de ses phrases, mort qu’il redoute mais qu’il essaie d’apprivoiser en la faisant apparaître au cœur des éléments. « Étant très malade / les fleurs du cerisier – / j’y pense beaucoup ».

Le temps qui fait tomber les fleurs de cerisier et mourir les cigales en automne, est omniprésent dans la culture et la pensée asiatiques. Ce passage du temps qu’on ne veut pas accepter en Occident et qu’on combat en croyant l’annihiler ou du moins l’oublier, est au contraire célébré en Orient. Vivre est un rituel quotidien, et les haïku comme l’art des jardins ou de la calligraphie sont des interventions de l’homme dans le cours de l’existence. Une façon de se glisser dans le mouvement perpétuel, et d’y laisser sa trace sans altérer l’équilibre et l’harmonie du monde.