La Croix, 7 décembre 2000, par Jean-François Bouthors

L’écrivain des inoubliables Récits de Kolyma revient sur sa première période de détention, dans l’Oural. Une interrogation sur la nature humaine.

Dès qu’on évoque le nom de Varlam Chalamov, on songe immanquablement à la Kolyma, et aux quatorze années, plus trois de relégation, qu’il y passa dans ce qui représenta –si l’on ose dire– l’apothéose du goulag. Rien, peut-être, de plus grand, de plus profond, de plus bouleversant n’a été écrit là-dessus que ses célèbres Récits de Kolyma. Soljenitsyne lui-même l’a reconnu. Chalamov, c’est une écriture blanche comme cet univers glacé de l’Extrême-Orient russe. Un refus presque total de l’effet, du pathos. Un combat contre la tentation de réécrire, de raturer, pour laisser sur le papier le jet de la mémoire, la traduction la plus directe de ce qui s’est inscrit et dans la chair et dans l’esprit.

Hélène Châtelain porte maintenant à notre connaissance un autre texte de l’écrivain, commencé au début des années 60 et achevé, semble-t-il, en 1970 (douze ans avant sa mort) mais qui porte non pas sur la Kolyma, mais sur la première expérience que fit Chalamov de la détention stalinienne.

Accusé de trotskisme, pour avoir diffusé un « faux », en fait le texte de testament de Lénine, Chalamov est envoyé en 1929 dans la partie occidentale de l’Oural. Il rejoint le Vichlag, un complexe de camps situé aux environs de la rivière Vichéra. Il va y faire son école du goulag. C’est là qu’il se fera le serment, au risque de sa vie, de « conformer ses actes à ses paroles », c’est là qu’il sera « soumis à la violente lumière de la prison qui transperce un homme ».

Sans être aussi tendus, acérés et cristallins que les Récits de Kolyma, les textes qui composent Vichéra démontent le mécanisme des camps tel qu’il se développait. Notamment sur le thème cher à Chalamov de la place faite et prise par les truands. Il est aussi scandé par des portraits, saisis comme au scanner, qui dessinent l’éthique des personnages que l’écrivain a retenus. Qu’est-ce qu’être un homme, se demande Chalamov, quand se met en place une telle broyeuse humaine ?

Aussi qualifie-t-il justement son texte d’« anti-roman », pour dire qu’il n’invente rien, mais rapporte ce qu’il a vécu.