Études, février 2009, par Agnès Passot
Varlam Chalamov : La Quatrième Vologda, Les Années vingt
Ces ouvrages ne révèlent pas des écrits inédits, mais contribuent à rendre plus accessibles des aspects moins connus de la vie et de l’œuvre de Varlam Chalamov, dont on connaît surtout les saisissants Récits de la Kolyma […]. Ses souvenirs d’enfance et d’adolescence dans une ville chargée d’histoire, Vologda, et les notes moins organisées sur la vie intellectuelle tumultueuse des années vingt éclairent les années de formation de Chalamov. Son autoportrait en enfant frénétique de lecture, doux jusqu’à la faiblesse, surdoué pour la pensée et inapte aux tâches « meurtrières » (l’abattage des animaux), révèle un être fait pour la poésie, aspirant vers elle comme on aspire à la plénitude de la vie. Le destin, en plongeant Chalamov dans l’univers concentrationnaire, l’obligea au contraire à ébaucher une langue du néant. Le style alerte et « sentimental » de La Quatrième Vologda en retire une rareté émouvante, autant lorsqu’il évoque avec une ferme tristesse la faillite de l’intelligentsia et la « tempête de forces obscures » que fut à ses yeux la révolution russe, que lorsqu’il ouvre la porte de l’intimité familiale. Son père, prêtre à la foi « moderne » mais aveugle au sens de l’Histoire, capricieux et dogmatique, véritable tyran domestique, mérite d’entrer au panthéon littéraire des pères haïs, qui ont bien malgré eux contribué à forger un destin d’exception à leurs fils. Il accentua sûrement le combat intérieur de Chalamov pour la recherche libre et personnelle de la vérité. De là vient aussi son enthousiasme pour le théâtre, les débats publics, les joutes oratoires qui occupèrent tant ce « siècle de tribuns », ces années vingt prises dans une folie de changement. Qui ne connaît pas un peu la complexité des groupuscules littéraires jaillis du tumulte révolutionnaire risque de se perdre dans les évocations serrées des luttes et des rivalités qui font l’essentiel de ces « Cahiers d’étudiants » rédigés en 1962. Mais le ton de l’ensemble, si enlevé et si dense, donne une image très juste de ce que vécut Chalamov au diapason de toute une génération, débattant de la nature de la langue et de la définition de la liberté sur les bords d’un précipice.