Le Monde, 24 novembre 2000, par Natalie Nougayrède
La terreur au quotidien
Varlam Chalamov est le poète du goulag. Mais dans Vichéra, qu’il qualifie d’« antiroman », on retrouve l’auteur des Récits de la Kolyma dans une phase différente, moins connue de sa vie, celle qui précéda son basculement dans l’enfer absolu du goulag, celle qui exista avant son séjour de quatorze années (1937-1951) dans les camps les plus durs de Sibérie. On est en 1929, au temps des premiers tâtonnements de l’univers concentrationnaire soviétique. Jeune étudiant moscovite contestataire attrapé par le KGB pour avoir diffusé le testament de Lénine, Varlam Chalamov est envoyé pour trois ans dans un centre de détention dans l’Oural, là où coule la rivière Vichéra. Seul prisonnier politique au milieu des droits communs, il se voit proposer des fonctions d’encadrement. Il accepte. Il est bientôt désigné « inspecteur chargé de contrôler l’exploitation de la main-d’œuvre ». Ambiguïté d’un choix, pragmatisme de la survie… Au détour de ces lignes, datées, selon les archives, de 1970 (Chalamov est mort en 1982 dans un hôpital psychiatrique soviétique, où il avait été transféré de force), il écrit : « À l’époque, j’ai eu accès à des informations dont disposait le goulag, la direction des camps. Au 1er janvier 1931, il y avait en URSS seize camps. […] En tout, il y avait dans ces camps environ deux millions de personnes. Le nôtre (à peu près soixante mille détenus) était l’un des principaux. […] Le camp le plus peuplé était le Dmitlag, celui du Moskanal, dont le centre était la ville de Dimitrov, où Kropotkine est mort : 1,2 million de personnes. En 1933. Il n’y avait pas de chiffre plus élevé. »