Libération, 4 juillet 2013, par Claire Devarrieux

Retour à la Kolyma

Une sélection de treize récits pour traverser le goulag vécu par Varlam Chalamov.

Il y a un mot, chez Varlam Chalamov, dans la nouvelle intitulée « Maxime », qui fait revenir à lui le mort vivant du goulag : le mot « maxime », justement, remonté du fond de sa mémoire dans toute sa délicieuse sophistication. Pour le lecteur des treize Récits de la Kolyma que Verdier a eu la bonne idée de prélever sur le massif initial (l’édition complète a été publiée en 2003), c’est le mot « valise » qui a un effet électrique.

« Mon caban se détrempait petit à petit. J’étais assis sur la valise que j’avais emportée de chez moi, au moment de l’arrestation, obéissant à l’éternelle vanité humaine. » Cette valise appartient à notre monde, celui que le condamné a quitté. Le narrateur de « Débarcadère de l’enfer » descend du bateau qui le jette au milieu de nulle part, où il fait « froid et sombre », en compagnie de 12 000 autres prisonniers. On ne la reverra plus, cette valise, ni aucun objet quotidien. Bientôt, il ne possédera plus rien.

Dans la préface, Luba Jurgenson rappelle que Chalamov (dix-sept années de camps) assigne à la littérature « la mission de fonder une nouvelle légitimité esthétique basée sur le document ». Elle signale aussi les moments ou les noms de personnages et la tension du récit paraissent s’éloigner dudit document. Par exemple, le dénommé Andreïev parvient, à force d’astuce, à prolonger la quarantaine où il se trouve. Il reprend des forces, il ne part toujours pas pour la mine : le suspens est question de vie ou de mort.

C’est encore l’intelligence qui conduit le narrateur de la nouvelle « Le Lait concentré » à refuser une proposition de fugue. Il accepte le lait, et se dédit au dernier moment. « Réfléchir n’était pas facile. C’était un processus physique : pour la première fois, la matérialité de notre psychisme m’était apparue dans son évidence concrète, palpable. Réfléchir me faisait mal. » Le corps est au centre des Récits de la Kolyma, tout y ramène, les faits comme la tension dramatique.