Lire, novembre 2000, par Lili Braniste
Le Goulag vu par Chalamov
Auteur des Récits de Kolyma, le camp où il fut détenu de 1937 à 1951, Varlam Chalamov avait été arrêté dès 1929 pour avoir diffusé le testament de Lénine. « La perfection que j’ai trouvée à Kolyma, écrit-il, n’est pas le produit d’un quelconque esprit du mal. Le camp est une structure empirique. Tout s’est mis en place progressivement par expérience accumulée. » C’est cette accumulation d’expériences que Chalamov entreprend d’éclairer dans les textes de Vichéra, le premier camp où il fut interné en 1929.
Arrêté comme prisonnier politique et condamné comme droit commun – cet ignoble amalgame stalinien était très répandu –, il est le seul de son espèce parmi des milliers de détenus dans les forêts de l’Oural. Jusque-là le travail était destiné à briser les résistances sociales, mais ne participait à aucun projet économique. En 1930 la grande refonte des camps, s’appuyant sur les petites frappes, les truands et les caïds, fait du travail forcé une des bases du socialisme d’État, entraînant une effroyable corruption et un bain de sang dans la société soviétique.
Inspecteur des chantiers, Chalamov est bien placé pour observer combien il est facile à un homme d’oublier qu’il est un être humain lorsque le repas chaud se transforme en ration stakhanoviste – la fameuse gradation du ventre. D’interrogatoire en déposition, d’enquête en sélection, la calomnie est érigée en principe et la dénonciation devient un levier universel de la vie concentrationnaire. C’est à Vichéra que Chalamov a décodé les mécanismes du Goulag et forgé sa capacité de résistance. Kolyma était encore à venir.
Antichronologique, antilittéraire, Vichéra est un antiroman peuplé de personnages romanesques, en commençant par l’auteur. « Je voulais simplement me prouver que j’étais à la hauteur de mes héros bien-aimés, les héros de l’histoire russe. »