La Revue des livres, janvier 2013, par Marie Goudot

Dans la demeure de Malakh, l’Immortel et père des treize oncles, existe un salon situé au sud où l’on entend des paroles prononcées il y a longtemps et très loin de là. Tout le roman est à l’image de cette pièce fabuleuse. Il entremêle scènes vraies, rêves et visions délirantes. Il se joue de l’espace : la maison faite d’une enfilade infinie de pièces peut devenir un pays entier. Même si l’histoire se déroule au début du 20e siècle, toute chronologie est brouillée. Un des oncles peut assister à la naissance de son aîné et les enfants arrivent au monde déjà affublés des emblèmes de l’Immortel, ses uniformes militaires et favoris. On vit dans des temps immémoriaux qu’Annouchka, femme de Malakh, appelle seuttériens et que les photographes tentent d’apprivoiser pour assurer la cohésion familiale. Si le roman est hors norme par son inspiration (l’auteur, dont c’est la première œuvre traduite en France, descend de Cosaques du Don), il l’est aussi par son rythme étourdissant, son écriture qui se rit des clichés littéraires, des symboles (ils donnent son titre à un chapitre du livre). Celle-ci est savoureuse, faite de surprises incessantes dans les associations de mots et les images, d’explosions en tout genre. Que de bruits, de cris et de rires, de galops de chevaux, dans cette prose sonore ! On n’accède à cet imaginaire qu’à condition de renoncer à certaines formes de rationalité. L’expérience vaut d’être tentée. Les personnages sont difficiles à oublier. Ainsi l’incomparable Annouchka qui tente de trouver une issue à sa relation et ses entretiens (fictifs ?) avec « le Grec » (le vrai père de l’oncle Sémion ?). Le narrateur avoue ne pas tout savoir, et invite son lecteur à continuer l’aventure, à rêver sur cette saga familiale qui n’a de parenté avec aucune autre, si ce n’est peut-être celles des plus grands romans sud-américains.