Le Figaro, 17 octobre 2012, par Christine Mestre
Au pays des Cosaques
Encore un auteur que nous font découvrir les éditions Verdier ! Vladislav Otrochenko, déjà récompensé en Russie par plusieurs prix, s’inscrit d’emblée dans la lignée des écrivains russes que sont Boulgakov et Gogol, et davantage encore, des écrivains latino-américains, tenants du réalisme merveilleux.
Otrochenko puise son inspiration dans ses racines, la culture des Cosaques du Don avec son folklore et ses mythes. S’ingéniant à brouiller les pistes temporelles et matérielles, à mêler l’illusoire et le réel, l’auteur de Mes treize oncles brosse dans une prose jubilatoire et baroque, le portrait de la pittoresque famille Mandrykine : la mère Annouchka, le père, Malakh, dit l’Immortel, géniteur d’une lignée loufoque, 13 fils « enfavorisés » de naissance – tous arborent dès leur apparition au monde d’imposants favoris – dont l’aîné Semion, le plus beau et le plus doué, est en fait le fils putatif d’un Grec de passage, Antipatros, artiste, devin et fin stratège comme son illustre homonyme. Ils vivent dans une maison qui s’ouvre à l’infini sur des volées de marches, des jardins, des enfilades gigantesques où la joyeuse fratrie se perd elle-même, oubliant un certain temps, à moins que ce ne soit un temps certain, L’Immortel, dans un cagibi !
Ces légendes pour un album de photographies (c’est le sous-titre de l’ouvrage) s’élaborent autour des clichés réalisés à des moments divers, mariages, enterrements, Noël, Pâques. La famille est entourée d’une parentèle nombreuse et agitée, donc floue, qui s’efforce d’être immortalisée par le photographe qui n’a pas apprivoisé le temps, mais « seulement le mirage de l’instant, le mirage périssable d’un certain instant choisi qui brille précieusement comme un diamant indestructible, dans l’écrin de l’éternité voulue par Dieu… », pas plus que l’espace, car le hors-champ « infini, non imprimé, (est) séparé à jamais par les frontières infranchissables de l’image triomphalement nette comme le territoire d’un immense État est séparé d’une enclave petite, mais indomptable ».
Il y a dans Mes treize oncles une incontestable jubilation à décrire avec une profusion d’adjectifs, à distordre la phrase, à triturer la langue, pour embarquer le lecteur dans un tourbillon hallucinatoire, passant du moment infiniment précis de l’éclair lumineux à l’Histoire, de l’infiniment grand au détail, pour questionner les notions constitutives de la culture et de la Condition de l’homme, l’espace et le temps.