Lire, juin 2003, par Claude-Michel Cluny
La Présence : poèmes, 1984-1987
Peut-être Kathleen Raine est-elle le poète anglais sinon le plus connu, du moins le plus aimé en France. Au vrai, son œuvre prolonge et renouvelle depuis plus d’un demi-siècle les grands lyriques qu’elle s’est reconnus pour maîtres, tels Blake et Yeats. Une œuvre où les ombres se sont faites écrin de la lumière, les mots ceux de l’indicible présence. La volonté de vivre et de dire, la communion avec une nature souvent rude et âpre, aimantent en elle ce sixième sens qui lui fit trouver et suivre sa voie avec une inflexible patience, une inlassable passion, quels que soient le silence et les orages.
« Seuls le vol de l’oiseau, et le voyage / De l’âme dans sa propre nuit, sont une certitude » écrivait-elle dans Le Premier Jour. Nuit transparente où résonne la changeante musique du temps. Et La Présence, traduite avec ferveur et fidélité par Philippe Giraudon, nous livre cette clé essentielle : « Notre savoir dépasse ce que nous savons. » Parce que, au-delà des jours passés, Kathleen Raine a su reconnaître, sous le fleuve troublé des temps, « le visage jamais changé qui toujours change ». Un rythme de psaume entraîne ces poèmes au bord de l’incantation, un balancement entre le fugace et la pérennité, le souvenir et la perte, « Ce qui est passé, ce qui jamais ne sera / Entrevu entre l’à venir et le disparu ». La vie tout entière retrouvée « comme une chambre que j’avais habitée jadis ».