Sud, numéro Robert Walser, 1992, par Roger Little

Ce volume constitue la première publication intégrale en français d’un des recueils majeurs de Yeats et inaugure un projet qui nous promet d’autres recueils complets du poète dont Michael Robartes et la danseuse et La Tour. En 1919, date de la parution des Wild Swans at Coole, la mythologie personnelle de Yeats était en place, sa vision affinée, son spirit(ual)isme et son militantisme national révolus ou du moins assimilés. Maître accompli de son art, il nous livre ici des poèmes dont la musique et les métaphores hantent la mémoire. Ils s’agencent selon une architecture dont le poète – et le traducteur dans son excellente préface – nous livre la clef essentielle : un équilibre entre la nostalgie et la vision qui se déplace de l’une à l’autre au cours du recueil. Cela n’empêche pas une variété de tons, le sérieux général étant nuancé par le joueur (p. ex. Le Chat et la lune) et même le sarcastique (p. ex. Les Érudits, d’une lecture obligatoire pour tout critique de la poésie : qu’on en juge par cet extrait) :

Les têtes chauves qui ont oublié leurs péchés,
Les vieilles, les savantes, les respectables
têtes chauves
Éditent et annotent les vers
Que des jeunes hommes, s’agitant sur leurs lits,
Ont rimé dans le désespoir de l’amour
Pour flatter l’oreille illettrée de la beauté.

Le traducteur de la poésie se condamne d’avance à l’approximation. Il est moins difficile de faire passer tout l’échafaudage de la pensée complexe et suivie de Yeats que les rythmes et les rimes qui en sont l’expression et l’expressivité poétiques. L’on connaît déjà de beaux choix de ses textes, mais le projet de Masson comporte une ambition, une dimension autres et singulièrement importantes. Sa langue est juste et belle, sa préface et ses notes exactement ce qu’il faut pour guider le lecteur : on peut lui faire confiance. Demeure fatalement pour l’anglophone que je suis le regret absurde de l’anglais de Yeats, de sa musique enchanteresse. Masson a su en donner un reflet d’une beauté impressionnante et son éditeur est à la hauteur : c’est un ouvrage très soigné à tous égards que je recommande vivement à tous les amateurs de poésie.