Télérama, 19 mars 2003, par Fabienne Pascaud
Comptoir des solitudes
[…] Assister à une mise en scène de Daniel Mesguich, c’est avoir la sensation que le texte est autopsié devant soi et qu’on en découvre enfin l’architecture secrète, les labyrinthes intimes, les sens cachés. Car peu importent l’intrigue, la stricte anecdote : priment chez Mesguich la pulsion des mots, l’enchevêtrement des phrases, ce qu’ils déclenchent en nous par-delà la fable, par-delà nous… Et la mise à nu est ici d’autant plus fiévreuse que le metteur en scène a lui-même traduit Shakespeare, apportant à chaque scène non seulement une clarté, une simplicité renouvelées, mais une sensualité et une violence toutes théâtrales.
On connaît l’antique et tragique histoire d’amour, d’ambition, de diplomatie et de guerre qui lia, un siècle avant Jésus-Christ, la reine d’Égypte Cléopâtre, le triumvir romain Marc Antoine et le futur empereur Auguste… Shakespeare en restitue à gros traits l’essentiel, s’attache surtout aux ambivalences, aux contradictions qui hantent ses personnages. Jusqu’à les anéantir. Et avec eux, peut-être, un monde ancien, l’Orient, que l’Occident, déjà, est en train de menacer ; avec qui, déjà, il faut inventer de nouveaux rapports… Sans faire du dramaturge un visionnaire de la géopolitique – ni un feuilletoniste de sitcom historique –, Mesguich s’attache à faire résonner le texte dans toutes ses couches et sous-couches… On sort du spectacle plus intelligent, l’esprit content. On a découvert aussi un superbe acteur, Mathieu Marie, lyrique, bouleversant de force et de fragilité. Autour de lui, une vaillante distribution, dont Sarah et William… Mesguich. Bon sang ne peut mentir…