Libération, 13 juin 1996, par Antoine de Gaudemar
Vers du pays vert
Pour clore un printemps décidément irlandais, rien de tel que cette volumineuse anthologie d’un siècle de poésie irlandaise, présentée ici « sous sa double identité anglophone et gaélique, Eire et Ulster confondus », et qui permet au profane de pénétrer les arcanes de l’imaginaire insulaire. Choisissant de confronter les deux langues au nom d’une « tradition duelle » à peu près admise par tous les poètes, cette anthologie trilingue montre aussi combien la poésie continue de jouer, en Irlande – où on dit qu’il y a autant de poètes que de pubs –, un rôle qu’elle a perdu dans le reste de l’Europe : partagée entre la tentation de l’engagement, celle du silence ou l’exaltation de la société paysanne, elle demeure le principal vecteur identitaire. Encadrés par les deux figures tutélaires nobelisées (Yeats en 1923, Seamus Heaney en 1995), une centaine d’auteurs nés entre 1845 et 1956 sont ici présentés à travers quatre cents poèmes (et une précieuse notice bio-bibliographique). On y trouvera aussi bien des poèmes de Wilde, Synge, Joyce et Beckett que les grandes voix comme George William Russell (alias AE), Patrick Kavanagh, Thomas Kinsella, John Montague, Louis MacNeice ou Thomas MacDonagh, ou que les hérauts de la nouvelle génération tels Paula Meehan ou Sean Dunne, mort prématurément en 1995 : « Œil bleu de mer fixé / Sur l’Irlande s’éloigne / Il ne regardera plus jamais / Les femmes d’Irlande, ni ses hommes. »