Page des libraires, mars 2011, par Olivier Renault, Librairie L’Arbre à lettres (Paris 14e)
Être par l’autre
Premier livre traduit en France de Yannis Kiourtsakis, et premier volume de son autobiographie. Une magnifique découverte, une écriture lumineuse, intelligente, sensible.
Le Dicôlon est cette figure du théâtre populaire grec qui charrie en permanence sur son dos le corps de son frère mort. C’est aussi l’auteur portant en lui l’histoire de son frère Haris, qui s’est suicidé lorsqu’il avait 28 ans et l’auteur 20. Ce livre qu’il commence à écrire est celui qu’il a toujours voulu entreprendre et toujours différé. Par strates temporelles et physiques, le livre s’échafaude. Pour dire l’histoire de Haris qu’il porte en lui, il doit se raconter, et pour se raconter, il doit raconter les autres. Car c’est l’une des grandes leçons de cette formidable autobiographie : on existe d’abord physiquement parce qu’il y a les autres, parents et ancêtres, leur semence qui devient soi. Ensuite, nous sommes façonnés par l’entourage et par l’Histoire qu’en retour nous façonnons si peu. Enfin, le « Je » ou le « moi » de l’époque n’est plus vraiment le même… tout en l’étant. « Je découvre ainsi une créature diverse et multiple, ondoyante, nuancée, contradictoire, sans cesse changeante, et finalement insaisissable », écrit-il sur son père. Paradoxe de l’identité, mythe du vaisseau Argo. Cette formidable et proustienne autobiographie est aussi l’histoire de la Grèce moderne, et peut-être de ce qui nous attend.