Le Soir, 27 avril 2007, par Marc Henry

Guirchovitch, le bon génie

Menteur, faussaire, mystificateur, le violoniste russe est surtout un écrivain enchanteur.

« J’avais vécu dans le sentiment que les autres, eux, menaient une vie d’adulte tandis que moi, je ne faisais que jouer au morpion à longueur de journée ». Pour son roman policier, Léonid Guirchovitch a choisi le pire des héros possibles : un loser, un rase-murs. Né juif en Russie encore soviétique, Joseph Gottlieb a déjà fait une croix sur son rêve d’être écrivain quand il émigre en Israël au milieu des années septante. Il y entame une passionnante carrière de chômeur puis de militaire pour, cocu, aboutir au suicide.
Manqué, bien sûr.
Nouvel exil, en Allemagne cette fois, où il entame une carrière de violoniste, co-soliste au Philharmonique de la ville imaginaire de Ziekhorn.
Un jour, sur une ancienne partition annotée, il reconnaît la signature de son grand-père datée de 1943. Or, l’aïeul dont il porte le nom fut, à sa connaissance, tué par les nazis en 1941. Il apparaît vite qu’il a survécu, sans doute protégé par une mystification montée par Gottlieb Kunze, grand compositeur nazi. Le mystère va transformer le petit violoniste qui survivait à l’écart des passions. Il se révèle un enquêteur rusé et méchant : « Je suis donc un chasseur. Je connais la passion de la traque. Voilà qui m’avait échappé jusqu’à présent, étant donné ma tendance naturelle à m’identifier à la proie. »
Voilà pour l’intrigue, mais elle ne constitue qu’une petite partie de ce livre formidable. Avec une ironie détachée, Guirchovitch offre une œuvre touffue et d’une richesse exubérante, qui force à une lecture lente mais toujours savoureuse.
Ce surdoué, aussi premier violon à l’opéra de Hanovre et dessinateur fameux, est doté d’une culture inépuisable. Ce qui lui permet de digresser avec passion sur les rapports entre esthétique et éthique puis, quelques pages plus loin, d’asséner quelques considérations originales du genre : « Même sur une carte politique « muette », Israël a la tête d’un juif qui s’est mêlé à la foule », sans jamais perdre le fil de son histoire, ni son lecteur.
En bonus, le roman est assorti d’une vingtaine de pages de notes riches éclairant des aspects annexes du récit.