Spirit, mars 2009, par Olivier Mony

Docteur Garcia et mystère François

C’est l’histoire d’un homme qui rêvait d’être un homme. C’est-à-dire, pour lui, en soigner d’autres, écrire des livres, affronter des taureaux. Aujourd’hui, cet homme est médecin, écrivain et publie un roman, Bleu ciel et or, cravate noire, éducation sentimentale et tauromachique, sur une jeunesse passée au soleil éclatant de l’arène, d’un côté à l’autre des Pyrénées, quand l’erreur et la vérité jouent à cache-cache. On a peine à imaginer que cet homme, François Garcia, ait été un jour enfant. Les enfants sont légers et brutaux. Lui, semble trop lesté de gravité et de douceur pour avoir jamais pu prétendre à ces verts paradis. Pourtant, à bien y regarder, cette bizarre inquiétude et cette intranquillité sont bien celles d’un enfant.

Pays d’enfance

Il y eut donc, des jeudis après-midi en famille. C’était quelque part dans le quartier des Capucins où les failles de l’Histoire et les fruits et primeurs avaient disséminé les Espagnols de Bordeaux. C’était au temps de « Chaban-sur-Garonne », un temps où l’avenir n’était pas un gros mot. Le petit François baguenaude entre le commerce de ses parents et ses grands-parents maternels plus bourgeoisement installés du côté de la basilique Saint-Seurin. Entre Parc Bordelais et Jardin Public, l’école rue Deyries et, plus tard, le lycée Montaigne, les vacances à dévorer les titres de la collection Rouge & Or, puis Saint-Ex ou La Condition humaine et celles passées à Andernos à pêcher la loubine (ou des bigorneaux, des esteys et des crabes) en compagnie d’un vieil instituteur.

Espagnes

Que l’on ne compte pas sur François Garcia pour entamer la complainte du pays perdu. On peut vivre et grandir aux Capus sans vouloir aliéner sa liberté avec des histoires de racines. Garcia n’est espagnol que si de l’être est avant tout un état d’esprit. Et aussi dans la mesure où la jeunesse a besoin d’horizon. Il faudra attendre ses quinze ans pour que naisse l’envie d’Espagne. À vrai dire, tout plutôt que le mufle hideux de l’ennui bourgeois qui rôde. Alors, les taureaux, pourquoi pas ? Une première corrida, L’oreille d’or aux arènes du Bouscat, le visage d’un jeune torero blessé dans le lobby du Maria Cristina à Saint-Sébastien et, enfin, une nuit à Pampelune où le jeune François, solitaire par tempérament, comprend que certains peuples imaginatifs inventent des façons d’être ensemble.

Soigner

Et donc, il y aura la médecine. Non par revanche sociale, mais pour éprouver là aussi, ce « convivium », ce vieux parfum d’humanité. Il n’y a de médecine que tournée vers autrui. Le reste est affaire de clercs. Pour lui, ce fut vrai à l’hôpital, au cœur de la Vendée profonde, dans son cabinet de la rue de Bègles et aujourd’hui rue Vital-Carles face aux vitrines de la librairie Mollat… La médecine est un ars vitae. Elle a ses stylistes et ses tâcherons. De Céline, qui s’y entendait : « musicien raté, médecin raté, écrivain raté, c’est déjà pas si mal. »

Écrire, dit-il

Ah, le dur désir d’écrire ! Aimable lubie, pensait-on, chez les mieux intentionnés. Écrire, c’est rester seul (dans un songe mouvant et peuplé). Notre homme dit avoir toujours écrit. En douce, par effraction. Les plus anciens se souviennent de quelques textes joliment troussés dans les pages d’une défunte revue taurine bordelaise. Deux ou trois (très) proches de tours de chauffe poétiques sous l’invocation de Saint-John Perse, Bonnefoy ou Reverdy. Mais, le roman ? Vous n’y pensez pas. Lui, si…

Jours de marché

La belle affaire. Un bonheur n’est jamais complet s’il ne fait en prime le malheur de quelques imbéciles. Pour ceux-là, ce n’était pas possible. Pas possible que ce petit toubib toqué de taureaux puisse en ces premiers jours de l’an 2005 publier un roman, Jours de marché, dont le succès critique et public l’impose comme l’une des nouvelles voix de notre littérature. Pas lui, pas avec ça. Ça : papa, maman, la bonne et moi, et tout ce joli monde (les aïeux aussi, et surtout) sur le pavé des Capus, Atlantis enfin révélée. L’auteur, lui-même, navigue un temps entre le zig de la joie et le zag du doute. Mais la reconnaissance de ses pairs emporte le morceau. Chantal Thomas, Stéphane Audeguy lui disent leur admiration comme ses premiers lecteurs, Emmanuel Hocquard et Jacques Abeille, Yves Harté, ami de longue date, le peintre Claude Bellan, compagnon de route, et Françoise bien sûr, sa femme, conservateur en chef au Musée des Beaux-Arts, « alter égale » que les égos encombrent.

Bleu ciel et or, cravate noire

Le plus dur restait à faire. Confirmer. Prouver que l’on n’est pas l’homme d’un seul livre. Surprendre, mais rester dans son sillon, car l’on ne chante jamais que dans son arbre. Ce sera donc l’Espagne encore, comme un lancinant regret, la jeunesse, terre de haute solitude et le deuil des taureaux. C’est surtout une langue pour dire encore la beauté du monde et le chagrin de sa promesse non tenue. Quelque chose comme, en ses premières lignes : « Tu sens la fraîcheur ? j’ai demandé à Pascal, des senteurs envahissaient la voiture en même temps que nous grimpions et, dans les derniers lacets du col, un plateau d’herbes sèches et de roches a laissé la R8 nue dans la lumière, asphyxiée par l’effort, nous y voilà ! a dit Moreno. » C’est reparti, mon kiki…

Le ciel au-dessus d’Hossegor

Quand il écrit, François Garcia, que ne dégoûtent pas les rituels, se tient dans des chambres aux volets clos ou au fond de cafés bruyants. Parfois, il prend sa Lancia, embarque famille, guitare et manuscrits pour Hossegor. Le temps de vérifier que pas plus que lui, le ciel au-dessus du lac, l’océan, les pins, ne sont calmes. Il sait aussi qu’on a l’éternité pour se tenir tranquilles.